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récoltes et semailles

  • Édouard Louis : « Mon livre a été écrit pour rendre justice aux dominés »
    http://www.revue-ballast.fr/edouard-louis-mon-livre-rend-justice-aux-domines

    Et si l’on voulait parler des #valeurs que je garde du prolétariat, l’une d’elle, et sûrement la plus importante pour moi, est un certain rapport à la politique. Il y a, dans les milieux dominés, une sorte de rage dans le rapport à la #politique. Quand j’étais petit, on répétait tout le temps, c’était une sorte de topique : « Au moins, sous Mitterrand on avait un beefsteak dans l’assiette ! » On disait tout le temps ça, moi compris. J’avais deux ou trois ans quand Mitterrand est mort et pourtant je le disais. Et même si le mitterrandisme n’a pas été un âge d’or pour les classes populaires et qu’on pourrait faire l’histoire des réformes qui leur ont été défavorables, ce qu’on peut dégager de cet énoncé, c’est qu’il existe, dans les classes populaires, un rapport presque vital à la politique. Que j’ai gardé. C’est ce qui m’a marqué quand je suis arrivé à Paris : la politique, c’est vrai, a finalement peu d’emprise sur la bourgeoisie.

    Vous pouvez vous plaindre d’un gouvernement de droite ou de gauche quand vous êtes bourgeois, mais la plupart du temps, sauf en situations très particulières, ça ne change pas profondément votre vie, ça ne vous empêche pas de manger. Je peux le dire de moi aujourd’hui. Quand j’étais petit, la politique changeait tout : comment se nourrir, comment se chauffer. C’est une des choses qui m’a le plus marqué. On parlait des APL, du RMI, tous ces acronymes étaient des événements mythiques qui bouleversaient le quotidien. À l’inverse, la #bourgeoisie, puisque son capital économique et culturel la protège en grande partie des variations politiques, défend la plupart du temps (dans ses institutions, comme l’ENS, l’ENA, Sciences po, ainsi que dans ses universités) une vision de la politique comme communication et échange : c’est la vision habermassienne, qui revient à une sorte de dévitalisation de la politique. Je l’ai vu en arrivant à Paris. Quand vous êtes privilégié, la politique est un plus, que vous le vouliez ou non, c’est une question de conditions matérielles d’existence. C’est une activité qui s’ajoute au reste. C’est un exercice de style.

    #grandes_écoles #éducation #inégalités

    • - Sartre engageait la notion de responsabilité. Houellebecq, au contraire, invoque son irresponsabilité. Il estime qu’un roman n’a jamais changé l’Histoire donc qu’il n’a pas les mêmes obligations qu’un essai, qu’un texte de « pensée pure ».

      – Je crois que ce n’est pas vrai. La littérature, et les œuvres en général, ont un grand pouvoir de transformation sur le monde social. La vie d’une personne noire, même dans ses aspects les plus quotidiens, ne serait pas la même sans James Baldwin, Toni Morrison ou Édouard Glissant. Il faut considérer la société comme un espace où des discours, les possibilités et les façons de penser le monde coexistent et s’affrontent, sous des modalités différentes : la politique, la littérature, l’art, les mouvements de grève, la conversation. Je ne place pas de hiérarchie là-dedans, la littérature joue le même rôle qu’un mouvement social. Elle est donc très importante. La politique, ce n’est pas gagner une élection, c’est faire exister une parole. La littérature en est une forme possible. Mais s’il s’agit de ne pas penser, d’être irresponsable, d’écrire, simplement, sans penser à ce que l’on écrit, on se fait le porte-parole du sens commun, on se fait le sténographe de la violence du monde. C’est aussi l’un des pièges en littérature. Beaucoup d’écrivains disent : « Je m’éloigne de la théorie, de la pensée, je ne veux pas penser, je veux dire le vécu, je veux dire l’émotion, je ne veux pas comprendre, etc. » Mais si on refuse de s’interroger, on devient le relais des pulsions, et donc des pulsions les plus mauvaises qui agitent la société.