• De colère et d’espoir : La raison du plus fort - Le féminisme doit-il vaincre ou convaincre ?
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    Il y a quelques temps, un masculiniste qui s’ignore me mecspliquait à grands renforts de condescendance et de microagressions sexistes que l’homme ne devait « pas être vaincu, mais CONvaincu ». C’est un discours qu’on retrouve aussi chez les féministes, qui puisent ainsi le courage de participer à d’innombrables conversations aussi pénibles que vaines. Certaines de ces conversations visent justement à mettre au clair que le féminisme ne cherche pas à vaincre les hommes, qu’il ne s’agit pas d’une « guerre contre les hommes ». C’est un axiome du féminisme qui est indiscutable. C’est précisément ce qui me motive à en discuter.

    Est-il réaliste de croire que l’avènement de l’égalité découlera d’une rhétorique parfaite et d’une argumentation à la logique inattaquable ? On pourrait évaluer la véracité historique de cette hypothèse, mais je préfère vous renvoyer à ces masculinistes que vous connaissez trop. Ceux qui vous harcèlent sur Twitter. Ceux qui annoncent publiquement que quelqu’un devrait vous violer. Ceux qui vous touchent sans votre consentement. Ceux qui font des blagues de viol en votre présence, uniquement pour le plaisir de vous reprocher votre absence d’humour. Sentez-vous la tension monter ? Vous les connaissez bien. Nous les connaissons toutes. Ce n’est pas faute d’essayer que nous avons conclu qu’ils étaient irrécupérables, et que nous avons préféré les couper de notre vie.

    Le sexisme n’est pas logique. Il ne découle pas de la raison. Les hommes les plus violents envers les femmes ne sont pas les moins intelligents ; ils ne sont pas non plus à un argument près de devenir proféministes. Nous avons derrière nous des générations de penseuses et d’éducatrices publiques féministes. Elles ont exprimé les arguments en faveur d’une réelle égalité entre les genres, et pourtant le monde reste ce qu’il est. Des hommes renforcent avec passion des dogmes sexistes totalement arbitraires (comme ceux de punir ou de censurer la nudité et la pilosité féminine), et ils ne le font pas parce que c’est rationnel. « C’est comme ça », disent-ils d’un ton catégorique. En leur expliquant que le mamelon ou poil féminin est homologue au mamelon ou poil masculin, vous ne gagnerez qu’un mal de tête. Ces normes arbitraires bougeront lorsque des féministes réaliseront des publicités sans pilophobie, produiront des films mettant en scène des corps réalistes ou imposeront aux écoles une éducation à la sexualité (ou même un cours de biologie) non sexiste. En bref, lorsqu’elles seront aux commandes. Le patriarcat est l’expression du pouvoir des hommes sur les femmes, et c’est en rétablissant la balance de pouvoir que nous nous émanciperons. Pas en les convaincant de nous marcher dessus un peu moins fort.

    #féminisme #violence #militer #masculinisme

    • Une deuxième conséquence qui nous empêche de dire qu’on participe à un combat de pouvoirs plutôt qu’à un concours de dissertations philosophiques concerne le rapport du féminisme aux hommes. Pour accepter un combat qui veut donner du pouvoir aux femmes (empower), il faut comprendre que les hommes devront en perdre. C’est tout simple, et pourtant tellement controversé. Un équilibre (pensez-le en termes de balances, de pH, de température, qu’importe !) se rétablit en réduisant une quantité d’un bord, et en l’augmentant de l’autre. Quelqu’une gagne, quelqu’un perd. Il nous faut donc comprendre que le sexisme ne nuit pas aux hommes, mais que le féminisme, oui, en leur retirant leurs privilèges (j’y reviendrai dans un prochain article). Et, s’il est question de rapports de forces, on craint que cela fasse des hommes nos ennemis. Le sont-ils ? Certains, sans aucun doute – vous n’avez pas besoin de mon aide pour en nommer. Voir le féminisme comme un combat ne fait pas de tous les hommes nos ennemis. Cela ne signifie pas qu’ils ne viennent pas tous du camp ennemi. Les arguments de type #NotAllMen illustrent bien le malaise qu’on a à accuser les hommes de quoi que ce soit – pourtant, on n’a aucun problème à comprendre qu’à la guerre, il y a deux camps ennemis sans que chaque membre des deux camps ne soient ennemis. Si le féminisme est un combat, il n’oblige pas chaque homme à prendre les armes pour défendre le patriarcat. Cependant, nous ne pouvons plus affirmer que nous combattons « le patriarcat, pas les hommes ». Le patriarcat n’a ni bras ni cerveau. Ses coups sont portés par des hommes, et ceux-ci doivent être responsabilisés. Être féministes, c’est être solidaires entre femmes. Être proféministe, c’est se désolidariser de la violence des hommes.

      Refuser de hausser le ton parce que cela ne sert pas l’argument ne fera pas disparaitre cette violence. La haine misogyne et antiféministe est bien réelle, et elle s’exprime au moyen de punitions. Les femmes qui osent contester sont punies – telle est la logique du machisme. C’est particulièrement évident dans le cas du viol : une punition pour celle qui ose porter une jupe trop courte, une punition pour celle qui boit, et même une punition légitime (et comique !) pour le criminel en prison. C’est aussi le cas du harcèlement en ligne des féministes : chaque action féministe a sa contraction pour la faire taire. Idem pour n’importe quelle transgression à ce que doit être « la Femme » (belle, mince, imberbe, hétérosexuelle…). La clé du féminisme – ou du moins, une de ses premières clés – est de prendre conscience du fait que nous ne méritons pas ces punitions. Nous défendre, par tous les moyens nécessaires, ne nous rabaisse pas au niveau de l’oppresseur (dont la violence est toujours légitime, par définition). Parfois, pour nous défendre ou pour défendre une camarade, il ne suffit pas d’argumenter. Critiquer celles qui prennent d’autres méthodes que la parole ne nous avancera pas. Je veux être claire : je n’encourage personne à frapper, à blesser ou à tuer. Personnellement, la violence physique ne m’intéresse pas (bien qu’elle puisse être légitimement choisie par d’autres selon les circonstances). Mais ce qu’on considère « violent » dans les actions féministes n’est pas de la violence physique. Hausser le ton, manifester, détruire un objet, exclure les hommes d’une réunion, éjecter un violeur d’un bar, déranger un événement… Toutes ces actions seront décrites comme extrémistes, violentes ou illégitimes par celles et surtout ceux qui croient qu’il suffit de convaincre.