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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • « Nous ne connaissons pas les effets à long terme des modifications génétiques »

    http://www.lemonde.fr/biologie/article/2015/08/12/nous-ne-connaissons-pas-les-effets-a-long-terme-des-modifications-genetiques

    Emmanuelle Charpentier, microbiologiste, est co-inventrice d’une récente technique d’édition du gène CRISPR-Cas9. Ces ciseaux moléculaires, capables de cibler spécifiquement une séquence d’ADN, permettent un bricolage extrêmement précis du génome, avec de nombreuses applications en recherche et en médecine.

    Professeure à l’école de médecine de Hanovre, en Allemagne, Emmanuelle Charpentier dirige un département du Centre Helmholtz. Elle est aussi professeure associée au Molecular Infection Medicine Sweden à l’université d’Umea, en Suède.

    Elle répond à nos questions dans le cadre des commémorations de la première bombe nucléaire ayant explosé sur la ville d’Hiroshima, le 6 août 1945.

    Le 16 juillet 1945, à l’issue du premier tir nucléaire grandeur nature, dit « Trinity », au Nouveau-Mexique, le physicien américain Kenneth Bainbridge, responsable de l’essai, a déclaré à Robert Oppenheimer, patron du projet Manhattan : « Maintenant nous sommes tous des fils de putes » (« Now we are all sons of bitches »). Trois semaines plus tard, le bombardier américain Enola-Gay larguait la bombe Little Boy sur Hiroshima.

    Dans votre discipline, avez-vous le sentiment que ce moment où des chercheurs pourraient avoir la même révélation que Kenneth Bainbridge a été atteint, ou est en passe de l’être ?

    En tant que scientifiques qui travaillons dans le but de faire une découverte importante, nous avons tendance à penser aux avantages que notre recherche peut apporter et à tout le bien qu’elle pourrait procurer. Penser à la façon dont la découverte pourrait être abusée est tout aussi important mais n’est généralement pas ce qu’un chercheur perçoit à première vue. Dans toute discipline, nous devons être conscients que de nouvelles découvertes sont toujours accompagnées d’une responsabilité.

    Dans mes domaines, la microbiologie et la génétique, j’ai récemment découvert une nouvelle technologie de l’édition du gène, CRISPR-Cas9. Je suis convaincue que ses avantages pour la recherche scientifique et la santé humaine sont extrêmement importants, par exemple pour développer de nouveaux traitements efficaces pour les maladies graves. Avec la communauté, nous travaillons sur des initiatives visant à établir une compréhension partagée de la technologie et l’établissement de directives collectives. Je suis encouragée par le travail préparatoire qui est mis en place pour assurer que la technologie sera utilisée avec responsabilité.

    Avez-vous ce sentiment concernant d’autres disciplines ? Lesquelles et pourquoi ?

    Beaucoup de nouvelles découvertes importantes s’accompagnent de risques potentiels et de responsabilités significatives pour leur développement et leur utilisation. L’ère nucléaire a également permis l’utilisation industrielle de composés et de produits radiopharmaceutiques pour traiter de nombreuses maladies. Malheureusement, c’est une question qui n’est pas spécifique à une discipline mais peut devenir une problématique dans presque tous les domaines.

    Quel pourrait être l’impact d’un Hiroshima issu de votre discipline ?

    Ma discipline est l’étude des bactéries, micro-organismes simples qui vivent autour de nous, peuvent provoquer des maladies et ont été largement étudiés comme organismes modèles pour comprendre la biologie. Ma recherche au niveau fondamental a conduit à la découverte de la technologie CRISPR-Cas9, qui permet une intervention chirurgicale précise du gène dans une cellule ou dans un organisme. Il existe d’autres technologies d’édition de gènes.

    Cependant, la technologie CRISPR-Cas9 a un énorme potentiel. Parce qu’elle est si efficace, simple et rentable, elle peut être utilisée dans un très large éventail d’applications, allant d’outil dans la recherche fondamentale à des applications potentielles dans des domaines comme l’agriculture et le développement de nouvelles options thérapeutiques pour les maladies génétiques.

    Récemment, il y a eu des rapports publiés sur l’utilisation de la technologie pour modifier l’ADN humain dans des cellules germinales, ce qui signifie que l’effet serait héréditaire, affectant ainsi potentiellement la prochaine génération et toutes les suivantes. Beaucoup ont fait valoir que l’utilisation clinique des modifications de la lignée germinale, chez les personnes, pourrait être très problématique, et cette question est actuellement au centre d’un débat éthique.

    Nous ne connaissons tout simplement pas les effets à long terme de modifications de la lignée germinale. Comme différents pays à travers le monde ont établi des règles éthiques différentes, il est très important de veiller à ce que tous appliquent une base standard, qui prévienne toute utilisation contraire à l’éthique de CRISPR-Cas9 ou autre technologie d’édition de gène. Ces initiatives ont déjà commencé et sont en cours au niveau mondial.

    Après 1945, des physiciens, comme Einstein, ont engagé une réflexion éthique sur leurs propres travaux. Votre discipline a-t-elle fait ou fait-elle de même ?

    Malgré les progrès et développements très rapides dans le domaine, le génie génétique par CRISPR-Cas9 est une très jeune technologie. Les découvertes centrales faites dans mon laboratoire avec mes collaborateurs ont été publiées récemment, en 2011 et 2012. La technologie CRISPR-Cas9 est très puissante, et mes collègues et moi sommes bien conscients de l’importance des considérations éthiques autour de la technologie et de ses applications dans le contexte de maladies humaines. Ces considérations ne sont pas spécifiques à CRISPR-Cas9, elles concernent d’autres technologies ayant aussi le potentiel de manipuler le génome humain.

    Je pense que la communauté scientifique mondiale a été influencée par les expériences passées de découvertes comme le clonage de gènes ou l’énergie atomique, et les discussions éthiques émergent de nos jours beaucoup plus tôt – à la découverte initiale de la technologie et en parallèle de son avancement. Des discussions et débats au niveau mondial autour des règles d’utilisation de CRISPR-Cas9 et d’autres technologies d’édition de gène dans un but bénéfique et éthique sont déjà en cours.

    Pensez-vous qu’il soit nécessaire que le public prenne conscience des enjeux liés à vos travaux ?

    Absolument. Nous avons besoin d’un débat large et global impliquant tous les acteurs, allant des scientifiques, dans des disciplines aussi diverses que l’agriculture et la biomédecine, aux législateurs, médecins, développeurs, patients et au grand public sur le plan mondial. Ceci est fondamental pour assurer que nous sommes en mesure de prévenir les abus de la technologie sans limiter et entraver la recherche et le développement dans des applications sûres et bénéfiques.

    Quelle est selon vous la marge de manœuvre des scientifiques face aux puissances politiques et industrielles qui commanditent et exploitent les résultats de ces travaux ?

    Le parrainage et le soutien de la recherche scientifique par les gouvernements et l’industrie sont d’une importance vitale pour faire des découvertes fondamentales et permettre leur traduction dans des nouveaux traitements, des services et des technologies dont nous pouvons tous profiter. Sans ce soutien, la plupart des découvertes qui changent notre vie et font maintenant partie de notre vie quotidienne n’auraient pas été faites. Le plus grand bien commun ne peut provenir que de collaborations et d’un dialogue ouvert et continu qui implique les parties prenantes à tous les niveaux.

    Pensez-vous à des mesures précises pour prévenir de nouveaux Hiroshima ?

    Les nouvelles découvertes dans toute discipline viennent toujours avec une responsabilité. Il est crucial d’initier et de maintenir des conversations ouvertes et transparentes à travers le monde sur l’utilisation éthique des technologies et de veiller à ce qu’il n’y ait aucun abus. Il faut des initiatives et des lignes directrices mondiales communes pour assurer que les utilisations sûres et éthiques des technologies soient promues et que les applications contraires à l’éthique ou nuisibles soient évitées.