Stephane M

Antiraciste

  • Onfray, Sapir : le retour en force de la gauche du non

    Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po - CEVIPOF). Il est l’auteur du Petit guide du mensonge en politique paru aux éditions First en mars 2014.

    LE FIGARO. - Jacques Sapir et maintenant Michel Onfray, deux personnalités issues de la gauche, ont été récemment accusés de faire le jeu du FN. Selon vous, ces polémiques s’inscrivent dans la continuité du « Non » français au traité constitutionnel européen en 2005. En quoi ?

    Thomas GUÉNOLÉ. - Après la victoire du « Non » au référendum de 2005 sur la Constitution européenne, il y avait eu alliance objective entre le « Oui de droite » et le « Oui de gauche », entre l’UMP de Nicolas Sarkozy et le PS de François Hollande, pour adopter au Parlement quasiment le même texte, rebaptisé « traité de Lisbonne ».

    Depuis lors, le « Non de gauche » a été repoussé en France dans les limbes du débat public, du paysage politique, et du paysage audiovisuel.

    ...

    La crise politique euro-grecque de 2015 a-t-elle contribué à cette transformation du débat public français ?

    Je pense même que c’est le facteur principal qui a provoqué cette transformation du paysage intellectuel. L’affrontement entre les dirigeants de l’Union européenne et le gouvernement grec a atteint un degré de violence politique proprement ahurissant : songez qu’en plein référendum grec sur les mesures d’austérité exigées par la « Troïka », la Banque centrale européenne a coupé l’arrivée de liquidités au système bancaire grec tout entier. Sauf erreur de ma part, c’est du niveau d’un acte de guerre économique pure et simple.

    Obtenue avec ces méthodes et avec ces exigences en termes d’austérité radicalisée, la capitulation d’Athènes le couteau sous la gorge a sans doute agi comme révélateur sur tout un pan de l’opinion publique de gauche en France. Le révélateur de cette vérité simple : non, quand on est dans la zone euro, et quand on a signé le Pacte budgétaire européen dit « traité Merkozy », on ne peut pas faire une autre politique que celle de l’austérité. Et donc : non, quand on est dans la zone euro et quand on a signé le Pacte budgétaire européen, on ne peut pas faire une politique de gauche au sens où l’entend le « Non de gauche ».

    Tout au plus peut-on, comme actuellement François Hollande, être de gauche au sens très limité d’une politique socio-économique identique à celle de la droite, mais accompagnée d’une lutte rigoureuse contre les discriminations dans la société française ; discriminations qui du reste sont bien réelles, en particulier contre les femmes, les jeunes, et les Français ayant des origines arabes ou subsahariennes. Du reste, c’est toute la logique de la stratégie Terra Nova conceptualisée par feu Olivier Ferrand pour le candidat du PS à la présidentielle de 2012.

    Par conséquent, la crise euro-grecque de 2015 ayant brutalement dévoilé qu’une alternative à l’austérité est interdite quand vous êtes membre de l’euro et du Pacte budgétaire européen, il est parfaitement logique qu’elle accouche de la résurrection du « Non de gauche » dans le débat public français.

    Ce « Non » de gauche peut-il, non pas faire le jeu du FN, mais le concurrencer ?

    Etre de gauche et dire que la France doit sortir de Schengen, pour combattre la concurrence déloyale de la main d’œuvre d’Europe centrale, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut copier le modèle canadien d’immigration par quotas de métiers, pour empêcher l’écrasement des salaires du personnel non qualifié et le dumping sur celui du personnel qualifié, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.

    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/09/21/31001-20150921ARTFIG00338-onfray-sapir-le-retour-en-force-de-la-gauche-du-n