• Le grand repli

    "On peut identifier trois circonstances géopolitiques qui ont mis à l’agenda public le « problème musulman ». Le premier est la révolution iranienne de 1979. Le fondamentalisme chiite vient proposer un modèle alternatif à l’affrontement des deux blocs, perturbant les équilibres régionaux. En 1983, la grève des usines Renault de Flins donne naissance à la théorie d’un « complot musulman », influencé par l’Iran. Et c’est le ministre socialiste de l’Intérieur d’alors, Gaston Defferre, qui condamnera cette « grève chiite ». Une partie de la presse va relayer cette théorie (qui se révélera totalement fausse), le Figaro magazine titrant même en 1985 Serons-nous français dans trente ans ?, alors que le Front national fait ses premières percées électorales. Le « problème musulman » émerge.

    La seconde date est la chute du mur, en 1989. L’ennemi principal, le bloc de l’Est, disparaît. Dans la doctrine stratégique de la défense, les nouvelles zones de menace sont alors beaucoup plus proches : ce sont le Moyen- et le Proche-Orient instables, et les pays du Maghreb. La théorisation d’une « cinquième colonne musulmane » en cas de conflit sera alors formulée au sein des forces armées et de la police. Parallèlement, le Front national gagne du terrain, réussissant à propulser dans un premier temps « la question migratoire », puis le « problème musulman » au cœur des débats publics. Les médias sont divisés, mais – pour aller vite – la presse de la droite républicaine reprend de plus en plus ces thématiques, et il devient difficile de la distinguer de la presse d’extrême-droite, qui utilise depuis longtemps le ressort de la peur de l’Islam.

    Mais deux événements majeurs, à l’échelle globale et française, vont définitivement faire basculer la perception médiatique de l’Islam en France. Le premier est évidemment l’attentat de 2001 ; les émeutes de banlieues en 2005 constituent le second. Dès lors et à la suite des premiers événements de 1995, le traitement médiatique de l’Islam sera presque systématiquement lié au terrorisme, au prosélytisme et au « communautarisme ». La grande peur de ce début de siècle s’est installée. Ce sera l’Islam.

    Dans cette perspective, une cohérence politique émerge. L’ennemi intérieur (les descendants de migrants « musulmans » en France) et l’ennemi extérieur (les djihadistes) ne sont plus qu’un aux yeux de l’opinion, des médias et des politiques. Comme avec les Communistes dans les années 30, ce rejet global d’un ennemi commun soude une partie de la nation. Il donne sens à une politique identitaire et aux engagements de la politique internationale de la France, tout en puisant dans le passé colonial une cohérence discursive sur laquelle le Front national, la droite et une partie de la gauche vont puiser pour être audibles auprès des électeurs."

    http://blogs.mediapart.fr/blog/pascalboniface/230915/le-grand-repli-3-questions-nicolas-bancel-et-pascal-blanchard

    • Il y a certainement des éléments utiles dans le livre dont il est question, m’enfin ils disent un peu beaucoup de conneries...

      La marche de 1983 s’inscrit en priorité dans une dynamique de reconnaissance de l’immigration en France, et plus spécifiquement de l’immigration maghrébine dont les grands-pères (combattants des deux guerres mondiales), les pères (travailleurs des Trente glorieuses), et les fils sont les grands « invisibles ». Par effet rebond, cette marche a été captée par le mouvement antiraciste et transformé en lutte « collective », mais elle a perdu en route sa revendication première et donc son désir d’intégration

      Dire « désir d’intégration » c’est parler (psycho)républicain (spécialité de Médiapart) à propos d’une mobilisation bien plus inventive et qui a placé un tout autre concept, oh combien moins aisément intégrable, au coeur de son action autonome : l’égalité. Dire « mouvement antiraciste » sans désigner l’OPA socialiste que fut SOS racisme (fabriquer une « génération Mitterrand » depuis une position morale, dépolitisante), c’est se foutre du monde.

      La lecture « géopolitique » (de Boniface ?) absorbe tout mais les grèves dont il est question en 1983 n’ont pas lieu chez Renault et moins encore « à Flins », mais à Talbot/Citroën Poissy. Elles sont intolérables pour un pouvoir socialiste (le social démocrate Pierre Mauroy, alors 1er ministre, en tête) confronté à un déficit du commerce extérieur imputé au manque de loyauté de la consommation salariée vis-à-vis de l’entreprise France (il est alors question de bloquer l’importation des magnétoscopes japonais pour ne pas être défait dans la « guerre économique »). Elles sont d’autant moins tolérable que les restructurations industrielles qui ont déjà touché nombre de secteurs productifs durant les 70’ doivent se poursuivre dans l’auto et ailleurs et qu’elles nécessitent de faire des syndicats des pseudopodes de l’état pour négocier les plans, ce qui suppose de réduire toute forme d ’autonomie ouvrière.

      Jeunes prolos de la marche pour l’égalité ou vieux prolos de l’auto, ce furent deux des figures socio politiques que le socialisme français (et sa « classe moyenne » - sans O.S, ni précaires, ni gibier de prison - socle de nos sociétés démocratiques) avait à détruire.