• « La notion de vérité fait partie de nous »
    http://www.laviedesidees.fr/La-notion-de-verite-fait-partie-de-nous.html

    Carlo Ginzburg nous rappelle que la vérité n’apparaît jamais à l’historien sous la forme d’une donnée, comme une pièce de monnaie qu’on ramasserait par terre. Le regard analytique, le rapport aux sources, l’administration de la preuve, le combat contre le mensonge font pleinement partie de l’« expérience historienne ».

    Essais & débats

    / vérité

    #Essais_&_débats #vérité

    • Elles se rattachent aux sources, au sens le plus large du mot, evidence en anglais, et à la relation que toute source entretient avec la société où elle a été produite. Je ne pense pas seulement aux textes, mais aussi aux images, aux objets, aux traces involontaires. Cette relation pose un problème, alors que ceux qu’on appelle les « positivistes naïfs » l’ont regardée comme étant évidente – ce qui n’est pas le cas. L’offensive néo-sceptique a posé un problème, mais en donnant, à mon avis, des réponses peu intéressantes, fausses, et même (on touche à l’aspect le plus délicat du problème) des réponses qui avaient des implications politiques, morales et intellectuelles troublantes. Ma discussion avec Hayden White a porté sur cela.

      Dans un essai, Hayden White avait écrit qu’il regardait les écrits négationnistes (ceux qui nient la réalité de la Shoah) comme affreux d’un point de vue politique et moral, mais il disait très franchement qu’il n’était pas capable de les repousser, de montrer qu’il s’agissait de faussetés ou de mensonges, parce que cela aurait détruit ses propres présupposés théoriques. J’ai trouvé cela énorme et j’ai essayé de montrer qu’on pouvait très bien démontrer qu’il s’agissait de faussetés et que, en même temps, cela impliquait une attitude subtile à l’égard des sources. Nous savons très bien, après Marc Bloch et Georges Lefebvre, que de faux bruits, de fausses nouvelles, des rumeurs peuvent engendrer une grande histoire, mais il faut savoir lire les sources, et il faut aller au-delà du positivisme naïf.

      Au fond, lorsque j’ai engagé cette bataille pour la notion de vérité sans guillemets, il y avait, de façon explicite, l’idée qu’on ne pouvait pas souscrire à une attitude qui empêchait de dire que les négationnistes étaient des menteurs. Évidemment, il y avait un enjeu plus grand que le simple fait de dire que ces personnages sont des salauds. La question était beaucoup plus importante que cela : la notion même de vérité doit être sauvegardée. Il s’agit d’une vérité humaine, réfutable par définition et parfois réfutée, mais il faut la garder, parce que cela fait partie de nous. Ce n’est pas le « je », c’est l’espèce animale humaine qui parle dans ce contexte. La vérité est au cœur de notre rapport avec la réalité.