• J’ai envie d’avoir un enfant, en vrai. Mais c’est les autres qui m’en empêchent. Familles, collègues, entourage proche, medias, passants.
    J’ai pas envie de que mon gamin ait une dînette et une robe de princesse, parce qu’elle a une nénette ou un chapeau de cow-boy et un arc parce qu’il a un zizi. J’ai pas envie qu’on lui demande si ça va avec sa copine, et pas avec son copain, qu’on lui dise « tu verras quand t’auras des enfants à ton tour », de pas sortir avec cette jupe, ou ce maquillage « de pute ». Qu’il ou elle comprend rien à la politique des grands, que « c’est comme ça ». J’ai pas envie qu’on lui fasse manger du poulet aux hormones, qu’on lui achète un poisson rouge et qu’on lui fasse avaler du colin d’Alaska, qu’on lui dise que ça lui va pas ce qu’elle porte, qu’elle devrait mettre des choses qui lui vont, qui la mette en valeur. Qu’elle a des petits nénés, ou des grosses fesses. Qu’il doit pas pleurer, pleurer c’est pour les filles. Qu’il faut qu’il soit un homme et qu’il protège sa gonzesse. Et quand est-ce qu’elle aura des enfants ? Et le mariage ? Et que c’est une salope d’avoir trompée son mec, et qu’il est bobo parce que la guerre ça le fait pleurer ou qu’il veut plus manger de viande. Que les flexi machin les bi trucs, les pans chose, c’est encore une mode, que les gesn savent plus quoi inventer. De faire attention à qui elle parle. De respecter sa mère, qu’elle a pas l’instinct maternel et puis c’est tout.

    C’est à cause de ça que je veux pas de gamin. Ou plutôt que je veux un gamin, mais que je veux le garder enfermé dans une petite boîte, protégée de tout ce qui fait que j’ai plus trop envie de montrer cette vie à qui que ce soit en disant « mais si tu vas voir ça va être chouette ». Faire des gamins, c’est devenu égoïste, parce que moi, je suis contente d’être là, mais encore plus emmerdée par tout ça. Et que je veux pas avoir la responsabilité d’un petit machin qui n’a rien demandé et qui va devoir tout affronter, se sentir démuni sans arrêt, obligé de faire ce qu’on lui dit de faire, avec l’illusion rassurante d’avoir encore un peu de liberté, au moins de penser. Mais en fait, non, parce que qui dit que j’ai vraiment envie de ce gamin ? Qui dit que c’est pas parce que j’ai passé le quart de siècle, que je suis en couple depuis longtemps, et que je suis une femme que j’ai tout à fait intégrer mon rôle ici bas ? Qui dit que je saurais distinguer la part d’inné et la part de pression sociale ? Personne. Je sais même pas qui je suis. Je suis pourrie par l’extérieur, par des idées qui se diffusent et s’infusent et nous enlèvent nos identités.
    Sans l’amour, je crois que je détesterais tout bêtement cette vie. J’aurais pas le courage de me lever, de discuter, de rigoler. Parce que ça sous-entend trop de concessions et que j’ai du mal à me regarder dans le miroir.
    Alors, non, infliger ça un être vivant qui n’avait rien demandé, partant du principe que j’ai quelque chose à lui apporter et une trace à laisser sur cette planète, tu vois, ça me fait chier. Et pourtant ça me sauverait.