Emmanuel Fleury

Psychanalyste, psychiatre, 17 place Leclerc, 59800, Lille, 06 89 73 62 43

    • D’après vous, il existerait deux groupes d’« aspirants » jihadistes aux ressorts distincts. Qui sont-ils et pourquoi se radicalisent-ils ?

      Farhad Khosrokhavar : Le premier est fait de jeunes exclus qui ont intériorisé la haine de la société et se sentent profondément victimisés, les « désaffiliés ». Ils pensent ne pas avoir d’avenir dans le modèle dominant « travail, famille, insertion dans la société ». L’adhésion à l’islam radical est un moyen pour eux de sacraliser leur haine, de la légitimer et de justifier leur agressivité. Ils ont quelques caractéristiques communes : vie d’exclusion dans les banlieues, déviance, emprisonnement, récidive, adhésion à une version radicale de l’islam, voyage initiatique en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen ou en Syrie, et enfin la volonté de rupture avec la société au nom de la guerre sainte. Le second groupe est totalement différent puisqu’il s’agit de jeunes des classes moyennes qui n’éprouvent pas de haine vis-à-vis de la société, vivent dans des quartiers bien balisés et n’ont pas de casier judiciaire. Ceux-là nourrissent une volonté de venir en aide à leurs frères en religion et sont animés d’un romantisme naïf. Leur engagement correspond à une sorte de mise à l’épreuve de soi, un rite de passage à la vie adulte pour post-adolescents, notamment chez les jeunes filles et les convertis.

      […]

      À vous lire, l’islamisme ne serait pas la cause première de la radicalisation, mais plutôt un refuge. Dans ces conditions, quels sont les remèdes pour enrayer la radicalisation ?

      Farhad Khosrokhavar : Les conditions d’émergence du jihadisme en Europe sont sociales, économiques et culturelles. Mais, sitôt mis en branle, le jihadisme devient une « logique de conviction », une « spiritualisation de la mort », une forme d’affirmation de soi où la vie est mise au service d’un idéal mortifère et où l’individu peut se trouver entraîné dans un engrenage qui le happe totalement. C’est pourquoi la déradicalisation doit accorder une place significative au religieux et au désendoctrinement. Une logique sectaire entre en jeu, qui dépasse les sectes ordinaires puisqu’elle rejoint une universalité qui lui donne une dimension beaucoup plus globale, de nature à fasciner des individus de culture, d’âge et de classe sociale différents.

    • « L’histoire avance toujours par le mauvais côté », l’Europe qui est train de se faire, c’est celle que propose une doctrine policière rénovée, présentée pour le compte de l’État français par Le Monde, des #frappes_militaires (et #Khosrokhavar dira au sol dès que cela paraîtra audible) et une #police_européenne

      Jusque-là les Américains, atteints par le syndrome d’insuccès en raison de leurs interventions malheureuses en Afghanistan et en Irak, ont refusé toute mobilisation des troupes au sol, et l’Europe, résignée à sa secondarité structurelle, n’a pas eu de politique unifiée contre cet Etat-truand. Il faudrait dépasser ce sentiment d’impuissance collective et prendre des mesures draconiennes pour l’annihiler sur son territoire. (...)

      ...ceux qui ont perpétré les attentats sont des Européens, belges et français. Ils sont originaires des « #banlieues » en France et de leur équivalent en Belgique. Ils sont animés d’une haine inextinguible contre cette #Europe qui les a vus naître et les a plus ou moins mal éduqués.

      Dans un sens pervers, ils sont plus européens que les #Européens : ils réalisent l’union européenne des djihadistes là où l’Europe peine à se doter d’une police et d’un service de renseignement unifiés qui puissent, par-delà les frontières de chaque Etat, révéler leur efficacité dans la lutte contre le fléau terroriste.

      Il existe en Europe une armée de réserve djihadiste dont les acteurs sont les jeunes déclassés des cités ou des poor inner cities («  quartiers populaires du centre-ville  »). (...)

      La haine de la société
      (...)
      Cette victimisation malsaine fondée sur une part de vérité en termes de racisme et d’islamophobie ne saurait occulter son caractère mythifié et son excès dans un manichéisme qui nie toutes les possibilités qu’offre une démocratie à ses citoyens, ne serait-ce que par l’instrument du vote_[sic_, c’est moins que Macron].
      Le djihadisme a eu deux inventions à portée extraordinaire et qu’incarnent littéralement ces jeunes : le néomartyre, cette #mort_sacrée dans le délire de la #subjectivation, et la néo-umma, une communauté effervescente qui n’a jamais historiquement existé et que les jeunes désarçonnés de l’Europe cherchent à réaliser comme remède à leur malaise #identitaire.

      Revanche contre l’Occident maléfique

      L’enthousiasme à mourir et à donner la mort en déshumanisant totalement ceux contre qui leur haine se déchaîne est une trouvaille qui date de la révolution iranienne de 1979 et qui s’est répandue dans le monde sunnite, se nourrissant des humiliations et de la volonté de revanche contre l’Occident maléfique. L’extraordinaire est que cet amour mortifère se double de l’enthousiasme de cette néo-umma, macabre et jubilante à la fois, qui devient l’abcès de fixation du malaise des #jeunes. Ce sont des jeunes qui ont tué le 13 novembre d’autres jeunes (en majorité) et qui se croient dotés de la légitimité divine.

      La France combine plusieurs facteurs qui aggravent son cas aux yeux des #djihadistes : elle est identifiée comme la « terre du stupre » par les fanatiques, la terre de l’idéologie antireligieuse par nombre de radicalisés et la terre de l’ambition politique (l’Allemagne sans politique active au Moyen-Orient est laissée tranquille pour le moment). Elle héberge aussi la communauté musulmane la plus nombreuse en Europe, dont l’écrasante majorité n’a rien à voir avec l’extrémisme.

      Reste les services de renseignement et de sécurité ainsi que la police. Dans chaque pays, ils sont armés pour lutter contre quelques centaines, mais pas quelques milliers de terroristes qui peuvent circuler librement en raison de la suppression des frontières. Ils sont débordés et submergés par l’extension du nouveau terrorisme. Il serait temps que l’Europe se dote d’un instrument puissant et unifié, le noyau d’un système fédéral de la lutte contre le terrorisme si on veut sauver la vie des futurs citoyens européens.

      #communauté_imaginaire

    • Expliquer la radicalisation : portrait-robot d’un terroriste « maison », Farhad Khosrokhavar
      http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/15/expliquer-la-radicalisation-portrait-robot-d-un-terroriste-maison_4970244_32

      Stigmatisés aux yeux des autres, ils ont un intense sentiment de leur propre indignité qui se traduit par une agressivité à fleur de peau.
      La banlieue ghetto se transforme en une prison intérieure, et ces jeunes transforment le mépris de soi en haine des autres et le regard négatif des autres en un regard avili sur soi.