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  • Alain Gresh diagnostique la fin du rôle historique de la France au Moyen-Orient -
    Le compte-rendu de Lina KENNOUCHE - L’Orient-Le Jour
    http://www.lorientlejour.com/article/958545/alain-gresh-diagnostique-la-fin-du-role-historique-de-la-france-au-mo

    Lors d’une conférence-débat qui s’est tenue hier au Centre consultatif pour les études et la documentation, think tank du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth, le politologue français Alain Gresh, spécialiste du Moyen-Orient et actuel rédacteur en chef d’Orient XXI, analyse les implications des attentats de Paris sur la diplomatie française au Moyen-Orient.
    Alain Gresh part du « constat » de la fin, depuis une décennie, d’une politique régionale autonome de la France. Cette crise de la diplomatie française au Moyen-Orient s’inscrit dans un contexte international marqué par « le recul de la puissance américaine », l’affirmation de nouveaux acteurs mais l’absence de leadership qu’illustre la difficulté à enrayer les nouvelles menaces.

    Alain Gresh estime qu’après 2004, la France a rompu la tradition diplomatique de la « neutralité » impulsée par le général de Gaulle, qui lui conférait son rôle de médiateur dans les conflits régionaux. Selon lui, la diplomatie française se caractérise depuis par la remise en cause du principe de non-ingérence, une attitude de « suivisme aveugle » à l’égard des États-Unis, et de « rapprochement inconditionnel » avec Israël. Pour Alain Gresh, cette « involution » s’explique par l’accession au pouvoir d’une nouvelle élite dirigeante dans un contexte où la gouvernance tend à remplacer la politique et où la diplomatie est soumise à l’impératif économique, sur fond de crise politique économique et culturelle. L’exemple du conflit israélo-palestinien traduit cette nouvelle donne. Le principe de la sacralité de la sécurité d’Israël a, selon lui, remplacé dans les déclarations françaises la revendication légitime des Palestiniens à disposer de leur propre État.
    Par ailleurs, les « erreurs d’évaluation stratégique » de la France en Syrie, Paris ayant dès le départ apporté son soutien aux groupes d’opposition armés pariant sur l’effondrement du régime, puis appelé à une intervention de l’Otan en septembre 2013, pour finalement s’engager dans le combat contre l’État islamique (EI) en septembre 2015. Tout cela illustre, pour Alain Gresh, « l’absence de vision politique cohérente » qui s’insérerait dans une stratégie française au Moyen-Orient. Comme le soutient l’analyste, en s’engageant sur différents théâtres au Moyen-Orient, la France « n’a pas mesuré les retombées de ses actions sur le plan de sa sécurité intérieure ».

    Islamophobie en hausse
    Sur le plan interne, Alain Gresh note que les attentats de Paris ont renforcé le climat délétère de rejet de l’islam auprès d’une partie importante de l’opinion. Cette islamophobie est alimentée par un discours de défense d’une conception dénaturée de la laïcité et son instrumentalisation. Alors que comme le souligne l’intervenant, la laïcité historiquement garantit à tout citoyen le libre exercice de sa religion, y compris dans l’espace public, une relecture de la laïcité a permis, selon lui, de justifier une nouvelle forme de racisme au nom de la moralité républicaine et de ses valeurs. L’absence d’examen critique d’un discours et d’une pratique politique de marginalisation et d’exclusion d’une composante de la population explique l’érosion des valeurs humanistes et le malaise qui constitue un terreau favorable à la radicalisation. Depuis les attaques de Charlie Hebdo jusqu’aux attentats de Paris, de nombreuses voix critiques se sont élevées réclamant un changement d’attitude de la France au Moyen-Orient.

    Or le politologue constate « la même absence de réflexion » sur les causes de la crise des valeurs politiques et la prégnance du discours de la lutte contre le terrorisme alors que 15 ans de guerre contre le terrorisme, loin d’éradiquer le phénomène, l’ont au contraire renforcé. Pour l’analyste, l’engagement de la France contre le « terrorisme » de l’EI non seulement ne transformera pas le rapport de forces sur le terrain en Syrie, mais ne lui offrira aucun rôle diplomatique majeur et constructif en Syrie. « Suivisme, ingérences, improvisations, incohérences », autant de symptômes qui semblent marquer la fin du rôle historique de la France au Proche-Orient, soutient Alain Gresh.