• La ministre Najat et l’islamiste Idriss, ou la mécanique du scandale | Slate.fr
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    Pour ceux qui ont raté le psychodrame, les faits. Dimanche au « Supplément », on devait parler de Moussa, un jeune humanitaire français emprisonné au Bangladesh depuis décembre, arrêté alors qu’il venait aider des réfugiés Rohingyas –une de ces minorités atrocement persécutées, dont le sort n’atteint pas les consciences occidentales. La cause de Moussa passionne une part de l’opinion, palpable sur le web, et indiffère globalement les élites : il n’est pas du club, encore moins ceux qui l’emploient. Moussa est un géant noir converti à l’islam, qui distribuait la soupe aux SDF avant de devenir pilier de Baraka City, ONG humanitaire musulmane de stricte obédience religieuse et de belle efficacité. On allait forcément parler de Baraka city, aussi. Qui n’est pas seulement puissante, mais sulfureuse aux yeux de l’État, qui la guette, la perquisitionne, l’isole et la redoute : elle est, Baraka city, en Syrie et ailleurs, au contact de l’ennemi. On allait donc parler de l’islam. Et de nous. On y a eu droit.
    « Vous condamnez Daech ? »

    Sur le plateau, Idriss Sihamedi, patron de l’ONG, n’était pas loin de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation. On le voyait, Sihamedi, dans le sujet de présentation, plaisanter au milieu de ses troupes, ironiser sur l’obligation qui lui serait faite de « se désavouer » de Daech, et puis expliquer, plus sérieusement, qu’il était, lui, l’alternative au terrorisme : l’homme qui proposait aux jeunes au bord de la rupture de pratiquer un « djihad humanitaire », au lieu de basculer dans la violence. C’était spécieux, ou séduisant, intriguant. Retour plateau. Parler de Moussa. De Baraka. Impressionnante Baraka avec ses million de dons, ses footballeurs stars parmi les généreux. On devinait une vérité, sur notre monde, sur la réalité idéologique de nos vedettes. Parler de Moussa encore. Que les autorités hésitaient à défendre, parce qu’il était de Baraka. Et justement Baraka ?

    Il y a le camp des indignés, au fond ravis de tenir une preuve de plus de la dangerosité islamique, et le camp des réprouvés, partisans de Sihamedi

    Et Ali Baddou, présentateur de l’émission, se tourna vers Idriss Sihamedi. Était-il fiché S, son invité ? Il l’était, répondait-il, ou du moins le croyait. Et serrait-il la main des femmes, ce trentenaire ostensiblement barbu ? Sa réponse allait combler notre faim d’indignation. « Je ne serre pas la main des femmes, comme beaucoup de rabbins. » La question juive ! Sihamedi nous la donnait, sur le mode du deux poids deux mesures, du paravent, un classique. L’intégriste dévoilé s’agitait un peu. Il était au feu du plateau. Vous condamnez Daech, lui demandait-on ? Il ergotait. Il n’aimait pas la simplicité des choses. Vous condamnez ? « Est ce que vous poseriez la question au Grand Rabbin de Paris à propos des bombardements israéliens ? » Rebelote ! Tout était joué.
    Le malaise

    Interrogé sur Daech, Sihamedi répondait sur les juifs, l’excuse habituelle, l’obsession classique des antisémites.... Il pouvait bien, ensuite, se débattre, bougonner qu’on n’avait aucune raison de le mettre sur le gril, et le dire, si mal, que Daech n’était pas sa culture… Le temps du matador était venu. « Je suis gêné de la question », disait Idriss. « On est un peu gêné de la réponse », le coupait Ali Baddou et Sihamedi se taisait pour toujours, chassé du possible et de la gentillesse. Najat Vallaud-Belkacem était invitée à clouer le cercueil. Elle déclinait la facilité de la sainte colère. Elle séparait le cas de Moussa, français à protéger, de Baraka city, une association dont « la manière de voir les choses », qui n’était « pas la mienne », la mettait « mal à l’aise ». C’était pire qu’une harangue, cette modestie. Idriss Sihamedi ne valait même plus qu’on le condamne.

    Dans notre monde de vertus virtuelles, on se relève bien des morts médiatiques. Deux jours plus tard, les fleuves de l’opinion ont repris leur cours. Chacun se rassure de certitudes. Il y a le camp des indignés, au fond ravis de tenir une preuve de plus de la dangerosité islamique ; certains, au passage, chargent les media, qui font open bar aux extrémistes (pauvre Baddou, qui avait dompté le fauve, à peine exhibé !). D’autres accusent Najat Valaud-Belkacem de mollesse, on les connaît les socialistes, et la ministre a durci le ton, pour être conforme. En face, le camp des réprouvés, partisans de Sihamedi, organisant la défense et le réconfortant. Idriss a été piégé, Idriss ne se laissera pas faire, Idriss a raison de penser que l’on passe tout aux juifs et que l’on soupçonne les musulmans, et les morts de Gaza sont tout aussi sacrés que les victimes du terrorisme…

    #islamisme #médias