• Refusons l’état d’urgence

    Sophie Wahnich

    Nous avons déjà assisté au rapatriement de la gendarmerie au sein du ministère de l’Intérieur, ce qui tend à brouiller la frontière entre police et armée, à faire rentrer la police dans un régime d’action militaire. C’était le cas à Sivens, avec pour conséquence l’issue tragique que chacun a encore en mémoire. Tout ceci contrevient à la logique historique du maintien de l’ordre républicain depuis la fusillade de Fourmies qui a toujours visé, malgré quelques écarts, la dissociation entre régime policier et régime militaire. Or, comme l’écrivait Walter Benjamin, lorsque la police n’applique plus la loi, mais la fait, le règne de l’arbitraire détruit toute fondation démocratique où la « force de loi » doit dépendre du peuple souverain, et non de la violence policière, qu’elle soit physique ou symbolique.

    http://www.regards.fr/web/article/sophie-wahnich-l-etat-d-urgence

    Fourmies, 1er mai 1891

    Le 1er mai 1891, les organisations ouvrières se préparent par différents moyens, dont la grève, à obtenir enfin la journée de 8 heures.
    A Fourmies, petite ville textile du Nord de la France, à 10 Heures du matin, Les délégués désignés en Assemblée Générale des Travailleurs et réunis au Café du Cygne, rue des Eliets, se rendent à la Mairie. Ils ont prévu d’y exposer leurs revendications :

    La journée de huit heures ;
    L’application de l’unification de l’heure pour la rentrée et sortie des fabriques et la même heure pour toutes, annoncée par la cloche locale ;
    Création d’une Bourse du Travail ;
    Révision générale des tarifs, suppression des règlements léonins, abrogation des amendes et des mal façons ;
    Fixation de la paie tous les huit jours, sans retard laissé dans la caisse des patrons au détriment de l’ouvrier, et l’obligation réciproque de prévenir 8 jours à l’avance en cas de cessation de travail ;
    Suppression des octrois ;
    Amélioration hygiénique à apporter dans certains ateliers en particulier à Fourmies et sa région ;
    Création de Caisses de retraites pour les ouvriers ;

    En réaction le patronat menace de licenciement celles et ceux qui arrêteront le travail. Pour lui venir en aide, il obtient du préfet la mobilisation de deux compagnies d’infanterie équipées du nouveau fusil Lebel ( 9 balles de calibre 8 mm).

    Ils avaient espéré épouvanter les ouvriers, mais ils ne purent que les exaspérer. Les plus indifférents furent pris de rage à cette menace qui les poussait à une cessation générale du travail. La quantité d’ouvriers qui ont été le 1er mai an travail fut si infime, que les fabricants durent les renvoyer chez eux. Paul Lafargue

    En fin de journée, face aux centaines de manifestants qui tentent d’obtenir la libération de grévistes interpellés dans la matinée et emprisonnés dans la mairie, le commandant Chapus crie : « Feu ! feu ! feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! » La troupe s’exécute tuant en quelques dizaines de secondes 9 manifestants - dont 4 femmes et un enfant - et en blesse une quarantaine d’autres.

    Le Matin, du 5 mai 1891, dénonce les « responsables » du drame :

    Le crime vient de plus haut et de plus loin. Il vient de ces faux apôtres du progrès, philosophes de quatre sous et politiciens de pacotille, qui ont entrepris de réformer les mœurs politiques de la France, en la déshabituant de ses anciennes croyances. C’est l’enseignement matérialiste inauguré par eux dans nos écoles qui engendre ces revendications impatientes et brutales.

    Le Nouvel Éclaireur de l’Oise, du 9 mai juge les enragés :

    On a tué des femmes et des enfants ! crie-t-on. C’est vrai, c’est très fâcheux, soit ; mais qu’est-ce que ces femmes et ces enfants allaient faire là, s’il vous plaît ? Ils allaient porter aux hommes des pierres et des bâtons pour les jeter sur les soldats ; les femmes étaient là pour exciter les hommes et pour leur servir de bouclier. Tant pis pour eux. « Fallait pas qu’ils y aillent » dit la chanson, et ici la chanson dit vrai.

    Et L’Illustration, du 9 mai, ne cache pas son admiration pour le travail bien fait :

    C’est le fusil Lebel qui vient d’entrer en scène pour la première fois... Il ressort de ce nouveau fait à l’actif de la balle Lebel qu’elle peut très certainement traverser trois ou quatre personnes à la suite les uns des autres et les tuer.

    Suite aux massacre, un débat parlementaire s’ouvre à la Chambre des Députés tandis que Culine et Lafargue sont arrêtés. Clemenceau réclame une amnistie générale en s’écriant : « C’est le quatrième État qui se lève et qui arrive à la conquête du pouvoir ». L’amnistie est repoussée.

    > 1er Mai 1891 : la fusillade de Fourmies - Histoire par l’image
    http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=95

    > Sur le site marxists.org, le texte de Paul lafargue, « La boucherie de Fourmies du 1er mai 1891 »
    https://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1891/05/lafargue_18910500.htm

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