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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Les ex-traders de la City au banc des accusés

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/13/les-ex-traders-de-la-city-au-banc-des-accuses_4864801_3234.html

    Au commencement était la crise financière de 2007 à 2009. Dans un premier temps, il a fallu parer au plus pressé et sauver le système bancaire d’un effondrement généralisé. Puis l’heure réglementaire est arrivée : les banques ont dû renforcer leurs fonds propres et leurs liquidités, tandis que les régulateurs haussaient le ton et multipliaient les amendes d’un montant toujours plus lourd. Depuis quelques mois, une troisième période s’est ouverte : celle de la justice.

    A Londres, le petit tribunal de Southwark, près de la City, voit défiler depuis quelques mois les procès d’anciens traders. Dans ce bâtiment en briques marron, avec sa moquette usée et l’acoustique désastreuse de ses salles d’audience, le monde de la haute finance entre en collision avec la vie de tous les jours. Des jurés qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de marché doivent trancher, dans des dossiers très techniques : les traders étaient-ils coupables ? En filigrane, c’est toute la crise financière qui est disséquée.

    La grande affaire du moment concerne le Libor. En août 2015, Tom Hayes, un ancien courtier d’UBS et de Citigroup, a été condamné pour avoir manipulé ce taux d’intérêt, qui sert de référence dans les prêts interbancaires, une activité qui traite pour 350 000 milliards de dollars (310 000 milliards d’euros) de produits financiers à travers le monde. La sentence fut lourde : quatorze années de prison, ramenées à onze ans en appel. Le 27 janvier 2016, six de ses supposés complices, qui travaillaient pour des maisons de courtage, ont en revanche été blanchis. Non coupables,ont
    tranché les jurés.

    Le régulateur montre les dents

    Lundi 15 février, devait s’ouvrir le troisième procès du Libor, où six traders de Barclays étaient appelés à comparaître. Mais il a été reporté à avril, après que la banque a soumis des centaines de milliers de pages de documentation supplémentaire.
    Parallèlement, les procédures préliminaires ont commencé dans l’affaire de l’Euribor, un taux similaire au Libor mais déterminé à Bruxelles plutôt qu’à Londres. Onze traders sont sur le banc des accusés, dont trois Français. Le plus gros procès pour délit d’initié jamais jugé est aussi en cours : depuis un mois, cinq hommes comparaissent, dont un ancien directeur de Deutsche Bank. Enfin, la justice doit bientôt trancher sur l’extradition vers les Etats-Unis d’un jeune trader, qui travaillait seul depuis le pavillon de banlieue londonienne de ses parents, et qui est accusé par les autorités américaines d’avoir causé le « flash crash », cette soudaine et inexpliquée chute de la Bourse de New York survenue le 6 mai 2010 – en l’espace de dix minutes, le Dow Jones avait perdu 900 points avant d’en regagner 600. Le rapport entre tous ces procès ?

    Le régulateur a décidé de montrer les dents. A Londres, après la crise, la Financial Services Authority (FSA) a été accusée à juste titre de n’avoir rien vu venir. Elle a été supprimée et remplacée par la Financial Conduct Authority (FCA), beaucoup plus agressive. Son action sur les délits d’initiés le prouve. Jusqu’en 2008, jamais la FSA n’avait lancé de poursuites judiciaires pour ce délit. Depuis, vingt-sept condamnations ont été obtenues. S’il s’agissait initialement de petites escroqueries, les affaires ont pris de l’importance, jusqu’à l’actuel procès en cours, qui concerne d’anciens gros poissons de la City.

    Un coup à jouer sur le Libor

    Le Bureau britannique des fraudes (Serious Fraud Office, SFO) a aussi durci son jeu. Quand il en a pris la direction en 2012, David Green a estimé qu’il avait un coup à jouer sur le Libor. Son prédécesseur estimait que ce scandale de manipulation d’un taux ne relevait pas d’une procédure criminelle mais du régulateur. Lui en a décidé autrement, voulant prouver que le SFO pouvait mener à bien des dossiers complexes et spectaculaires. « Nous devons nous attaquer aux cas qui mettent à mal la réputation de la City et en particulier à ceux qui ont un fort élément d’intérêt public », confiait-il en 2013.
    Les procédures judiciaires étant lentes, les procès ne déferlent que maintenant. La condamnation de Tom Hayes dans le scandale du Libor représente jusqu’à présent le principal « scalp » obtenu par les autorités. « Le message est clair : le SFO est capable de punir sévèrement le crime financier à la City », relève Leila Gaafar, avocate au cabinet WilmerHale.

    Avec cependant un malaise : traîne-t-on les bons coupables face à la justice ? « Il existe de bonnes raisons de poursuivre ces gens, qui semblent avoir franchi une ligne rouge. Mais sont-ils responsables de la crise financière ? Absolument pas », dit Peter Hahn, professeur à la Cass Business School, et ancien conseiller de la Banque d’Angleterre sur les risques bancaires. Le Libor est un taux important, parce qu’il sert de référence à des produits aussi divers que les prêts immobiliers ou des produits dérivés. Mais il n’a rien à voir avec les prêts subprimes américains. Aucune banque n’a jamais fait faillite à cause de sa manipulation.

    Selon M. Hahn, l’absence de gros poissons dans ces procès est aussi frappante. « La plus grande omission est le manque de dirigeants seniors », précise-t-il. Comme souvent, seuls les traders, excessivement bien payés mais sans responsabilité hiérarchique, sont inquiétés.

    Stupeur
    M. Hayes n’avait que 26 ans quand il a été recruté par UBS à Tokyo. « Ce jeune diplômé [il avait alors cinq ans d’expérience] rejoint un segment de la banque qui n’est d’habitude pas très profitable et il se met à gagner des centaines de millions pour UBS. Il reçoit de gros bonus. Et personne ne s’est demandé comment il faisait ? », s’agace M. Hahn.

    Son procès a depuis démontré qu’il avait mis en place un système d’entente avec d’autres traders de banques rivales et de maisons de courtage pour manipuler le Libor au niveau qu’il souhaitait.
    « Soit les dirigeants d’UBS n’ont pas posé de questions, et il faut se demander s’ils méritent d’être banquiers, continue M. Hahn. Soit ils ont posé des questions, et il faut se demander pourquoi ils n’ont pas averti les autorités. »

    Reste que la condamnation à onze ans de prison ferme de M. Hayes est bien réelle. La sentence a provoqué la stupeur parmi les dizaines de traders en attente de jugement dans le même dossier et dans l’Euribor. En marge d’un des procès, l’un d’entre eux témoignait au Monde, sous réserve d’anonymat : « Cette condamnation a été un énorme coup de bambou. J’ai toujours cru que la justice saurait faire la part des choses. Mais je m’aperçois que, face à un jury, on passe juste pour des salauds qui ont gagné des millions. »

    « On fait de nous des boucs émissaires », a déclaré Noel Cryan, l’un des courtiers blanchis dans l’affaire du Libor, à la sortie de son procès. Lui comme ses anciens confrères ont le sentiment de payer pour l’ensemble de la crise financière. Henry Blaxland, leur avocat, exhortait d’ailleurs le jury pendant le procès : « N’utilisez pas cette
    opportunité pour exprimer votre désapprobation du système bancaire en général. » Pour lui, il s’agissait d’un « procès-spectacle. » Les jurés l’ont entendu et ont jugé ses clients non coupables.

    Loupe déformante

    Parler de bouc émissaire pour tous les traders du Libor serait aller un peu loin : personne ne les a obligés à s’entendre entre eux. A l’époque, certains engrangeaient des bonus qui se comptaient en dizaines de millions d’euros. Pas vraiment le pauvre orphelin sans défense...
    Néanmoins, selon les traders, l’accusation de manipulation des marchés, qui remonte pour l’essentiel à avant la crise, revient à revoir l’histoire avec une loupe déformante. A l’époque, les acteurs du marché se parlaient entre eux couramment. Tout le monde le faisait et personne ne s’en cachait. Sur leurs ordinateurs, entre les courbes des marchés et les dernières statistiques économiques, se trouvaient des forums de discussions électroniques où ils passaient leur temps à échanger. « C’était la fabrique même du marché, confie un ex-trader, qui est poursuivi. Jamais je n’ai pensé que je faisais quelque chose d’illégal. »

    Cela ne rend pas forcément la pratique licite. Mais alors, l’ensemble des traders du Libor devraient être condamnés et leur hiérarchie avec eux. D’autant qu’au plus fort de la crise, la manipulation est remontée au plus haut niveau, y compris dans les banques centrales.
    C’était à l’automne 2008, juste après la faillite de Lehman Brothers. Le niveau du Libor était utilisé pour évaluer la santé financière de chaque banque. Si un établissement soumettait un taux haut, cela indiquait que les autres refusaient de lui prêter de l’argent. Pour éviter la panique, les taux ont donc été artificiellement baissés, avec l’approbation – au moins tacite – des dirigeants. Même la Banque d’Angleterre s’en est mêlée. Le 29 octobre 2008, Paul Tucker, alors son vice-gouverneur, a téléphoné à Bob Diamond, le directeur général de Barclays. Juste après, le niveau de Libor de la banque a baissé. Pour l’Euribor, les autorités de la Banque de France auraient ordonné aux établissements tricolores de faire de même. Mais ni M. Tucker, ni M. Diamond, ni les dirigeants de la Banque de France ne font face à la justice.