La révolution managériale : éloge de l’autocritique du travailleur
« Points du matin », « entretiens d’activité », et autres « points annuels ». Ces « débriefings » personnalisés se transforment en jugements de sa manière d’être et plus seulement de ses savoir-faire. Alors que la conscience professionnelle, voire l’amour du métier, sont déjà des motifs d’implication profonde dans l’activité, « faire » ne suffit plus : il faut « être ». À Auchan, le sens de son travail commence à échapper à Pascal, les motifs de ses « mauvaises évaluations » lui sont inconnus : il ne comprend plus ce qu’il doit faire, sur quelle base il est évalué. Cela l’embarque dans un mélange de surprise et d’incompréhension d’abord, d’injustice ensuite, face aux sanctions et signes de mépris distillés à petite dose quotidienne par ses « n+1 » ou « n+2 »3.
Pas de « grands événements », dit-il, mais de « petits détails, petites mesquineries, petits mots méchants […] Et là, tu commences à avoir peur, d’abord la peur de perdre ton salaire. […] Puis y’a parfois des gens qui disparaissent [en dépression, suicide, ou licenciés]… et tu ne sais plus ce que tu dois faire, vis-à-vis de ton employeur ».
La trajectoire de Pascal est symptomatique d’un changement puissant légué par le Medef. En 1999, celui-ci met en place une « révolution managériale », selon son président Ernest-Antoine Seillière. Cette nouvelle ligne consiste à évaluer au sein de l’entreprise les « compétences relationnelles » des salariés, c’est-à-dire la manière dont chacun exerce son « autonomie » et sa « responsabilité ». La porte est ouverte au « savoir-être », et la grande mode devient celle de j(a)uger le travailleur tout entier, censé être « engagé » dans et pour l’entreprise. Ce dernier ne doit plus seulement mettre correctement en œuvre les tâches dont relève son métier, il est aussi responsable des résultats face au marché, au client, au prestataire4. L’emploi au petit bonheur des évaluations...