Les ennemis du Progrès, comme les Indiens, ont le choix entre deux façons de perdre.
Soit ils considèrent que la fin est dans les moyens, ils refusent - à la manière des Amish - de vivre avec leur temps. Ils se retirent dans des isolats temporels, à la campagne, au sein de micro- sociétés et de micro-réseaux, dans l’espoir, au mieux, que leur exemple soit contagieux, au pis, d’assurer leur salut individuel. S’ils sortent de leur refuge pour attaquer le système, ils sont vaincus, sauf exception ; comme les Indiens, avec leurs arcs et leurs flèches, furent vaincus, sauf exception. On ne peut pas éternellement se gargariser du Larzac et de la Little Big Horn.
Soit ils considèrent que la fin justifie les moyens et ils retournent contre l’ennemi, les armes de l’ennemi. C’est la position des communistes, de Lénine, de Trotski, 5 des nationalistes des pays colonisés, des islamistes aujourd’hui. C’est possible parce que ces courants croient à la neutralité des moyens scientifiques, technologiques, industriels, militaires, etc. Le Progrès est neutre, les moyens sont neutres, tout dépend de leur usage, de ce qu’on en fait, de leur fin. Ainsi l’arme nucléaire devient-elle morale, dès qu’elle devient rouge, communiste, ou verte, islamique. Les drones auraient toutes les vertus s’ils attaquaient Israël, les Etats-Unis et l’Europe, etc. Cette souplesse morale s’étend d’ailleurs aux moyens politiques et guerriers. La fin justifie la terreur : les massacres de septembre 1792, l’extermination des anarchistes et des populistes par le Guépéou bolchevique, et les moyens théorisés par l’Etat islamique dans La Gestion de la terreur, afin de purifier le monde de ses mécréants. C’est ainsi que la Révolution perfectionne l’Etat hérité de l’autocratie russe ou de l’absolutisme royal et que la technologie, conçue et développée en Occident, transforme le monde, modernise/américanise/occidentalise tous ceux qui prétendent l’employer contre l’Occident. Et en fin de compte, « nous sommes tous américains » - mais comme les Américains eux-mêmes - moyennant quelques gris-gris culturels et identitaires, que l’on soit afro-américain, sino-américain, juif américain, hispano-américain etc., ou gallo-ricain pour les résidents de l’Hexagone.