• #pouvoir #oppression #normalisation

    la discipline essaie de faire en sorte que l’évènement [exemple de la disette] ne se produise pas ; le contrôle, au contraire, laisse arriver l’évènement : on ne peut pas empêcher l’évènement de se produire mais on peut faire en sorte qu’il ne veuille rien dire , qu’il ne soit pas significatif , qu’il ne soit plus un évènement. On y parvient en abordant les choses d’un point de vue statistique : car alors, loin d’ébranler l’ordinaire, l’évènement est l’ordinaire par excellence, intégralement soumis à des lois. On fait donc en sorte que, s’il y a bien évènement, cet évènement n’arrive au fond à personne, sinon à ce « on » qui n’est qu’un personnage statistique.

    LAGANDRÉ, Cédric, La société intégrale , éditions Climats, 2008 [p.72] (Un livre passionnant sur l’État de contrôle.)

    → Un évènement est normalisé lorsqu’on le voit du point de vue statistique. Un propos applicable à beaucoup de choses : disette, crise, meurtres à grande échelle (guerres, abattoirs...)

    • « Les huées populaires avaient de nouveau accompagné Marigny, sur son trajet de retour de Vincennes au Temple où, cette fois, les fers aux pieds, il s’était vu enfermer dans le même cachot qui avait servi pour Jacques de Molay. Sa chaîne avait été rivée au même anneau où l’on rivait naguère la chaîne du grand-maître, et le salpêtre portait encore les marques faites par le vieux chevalier pour compter l’écoulement des jours.
      « Sept ans ! Nous l’avons condamné à passer ici sept ans, pour ensuite l’envoyer brûler. Et moi qui ne suis emprisonné que depuis une semaine, je comprends déjà tout ce qu’il a souffert. »
      Le personnage d’État, des hauteurs où s’exerce son pouvoir, protégé par tout l’appareil des tribunaux, de la police et des armées, ne voit pas l’homme dans le condamné qu’il livre à la prison ou à la mort ; il réduit une opposition. Marigny se souvenait du malaise qu’il avait éprouvé tandis que les Templiers grillaient sur l’île aux Juifs, en comprenant qu’il ne s’agissait plus alors d’abstraites puissances hostiles, mais d’êtres de chair, de semblables. Un bref moment, cette nuit-là, et se reprochant ce mouvement d’âme comme une faiblesse, il s’était senti solidaire des suppliciés. Il se retrouvait tel, au fond de son cachot. « Vraiment, nous avons tous été maudits pour ce que nous avons fait là. »

      Maurice Druon, Les Rois Maudits, 1955 (vol. 2 “La Reine étranglée” - année 1315).
      https://archive.org/details/LesRoisMauditsMauriceDruon


      Cet extrait me semble en parfaite résonance avec ton propos, même si le moyen d’“abstraire” la souffrance de l’autre est ici le politique et non le chiffre.

    • Merci !
      Oui ça reste dans l’idée de déshumaniser un groupe de personnes, pour leur faire subir ce que l’on veut sans soucis de conscience : ce ne sont plus des individus, c’est un groupe nuisible à notre État... « une puissance hostile ».

      solidaire des suppliciés

      j’aime vraiment cette expression