Décryptage d’un terme qui apparaît ou resurgit dans le débat public. Aujourd’hui, l’islamo-gauchisme. De la famille des « insultes policées et intellectuelles », l’expression a de nouveau été utilisée récemment par Elisabeth Badinter.
Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique
C’était le 2 avril dans le Monde, dans la bouche d’Elisabeth Badinter : « Etre traité d’islamophobe est un opprobre, une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes. »
« Islamo-gauchiste » : le mot n’est pas nouveau, mais il revient régulièrement dans les discours des défenseurs d’une laïcité parfois qualifiée de « combat », qui revendiquent un « parler vrai » sur l’islam et l’islamisme. « Taxer d’islamophobie ceux qui ont le courage de dire : "Nous voulons que les lois de la République s’appliquent à tous et d’abord à toutes" est une infamie » , poursuit ainsi la médiatique philosophe. Aux accusations d’islamophobie répond ainsi le procès en islamo-gauchisme – les deux termes vont souvent de pair dans les débats.
Pour ceux qui l’utilisent, l’expression « islamo-gauchisme » est une alerte, un mot « choc » pour décrire l’alliance contre-nature d’une partie de la gauche avec un islamisme réactionnaire. « Il désigne ceux qui, au nom d’une vision communautariste et américanisée de l’identité, combattent le féminisme universaliste et la laïcité » , estime ainsi l’essayiste Caroline Fourest, qui l’utilise couramment. Pour les autres, ceux qui en font les frais, elle n’est qu’une arme pour disqualifier une lutte légitime : faire entendre la voix des musulmans « racialisés » et « discriminés ». « Une expression valise qui sert simplement à refuser le débat et à stigmatiser » , pointe Edwy Plenel, le patron de Mediapart. Le terme, à vocation médiatique, n’a en tout cas pas d’assise scientifique. Il se rapprocherait plutôt du montage séduisant et efficace pour dire un phénomène complexe et discuté. De l’injure policée dans le débat de plus en plus brûlant entre intellectuels français.
Dès 2002, chez Pierre-André Taguieff
Difficile de retrouver la première occurrence du mot. Mais il est aisé de fixer les étapes clés de sa popularisation dans le débat public et les médias ces dernières années.
En janvier 2002, Pierre-André Taguieff l’utilise ainsi dans son livre la Nouvelle Judéophobie . L’historien des idées y condamne l’antisionisme de « la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de "mouvement antimondialisation" ». « Des Juifs , écrit-il, peuvent être tolérés, voire acceptés dans cette mouvance islamo-gauchiste, à condition qu’ils fassent preuve de palestinophilie inconditionnelle et d’antisionisme fanatique. » A l’époque, Taguieff est actif au sein de la Fondation du 2-Mars, d’une tendance souverainiste et d’orientation chevènementiste, aux côtés du démographe Emmanuel Todd ou encore de la future plume de Sarkozy, Henri Guaino.
[...]
« Désormais ce mot ne désigne plus des personnes minoritaires – la laïcité inclusive a gagné des sympathisants – mais des institutions, comme l’Observatoire de la laïcité et son président, Jean-Louis Bianco » , note Sylvie Tissot.