lundimatin

lundimatin paraît toutes les semaines.

    • Pour le plus grand malheur de ceux qui veulent distinguer, le casseur et le simple manifestant ne sont pas deux catégories bien séparées. Le devenir-casseur du militant politique est souvent d’abord un phénomène mimétique. On voit des modérés, ni authentiquement pacifistes, ni délibérément attentistes, prendre goût à la mascarade lacrymogène, aux mouvements d’aller-retour, aux manifestations sauvages, aux « charges » contre la police et aux lancers de projectiles. Nombreux sont ceux qui se déguisent en casseurs, et ne cassent absolument rien. Face à l’équipement de la police, les masques de ski, les lunettes de piscine, les casques de moto, les boucliers de fortune ne peuvent être appelées des « armes » qu’à titre parodique. Il faut les comprendre comme des accessoires d’apparat, des costumes de guerriers ou des instruments d’intimidation symbolique, sur un théâtre d’opération dont quelques barricades de fortune servent à planter le décor.

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      Mais réciproquement, dans les camps des #casseurs néophytes, on associe trop hâtivement la #violence capitaliste d’état à une violence répressive de type autoritaire (la figure de Manuel Valls n’y contribuant pas peu) appuyée sur la force armée. Or ce qui caractérise la violence d’état capitaliste, ce n’est pas la répression, mais l’encadrement, l’absorption et la dispersion de l’effort de contestation qu’elle produit. Depuis deux mois, les cortèges déambulent sous la surveillance millimétrée des « forces de l’ordre », guettant les moindres « débordements » ou déviations spontanées du parcours déposé en préfecture, autrement connues sous le nom de « manifestations sauvages ». Le bouclage et les tours de reconnaissance, toutes sirènes gémissantes, autour des lieux de manifestations, l’encadrement des cortèges par des brigades anti-émeutes suréquipées et de plus en plus nombreuses, servent à rappeler au manifestant ce principe simple : ce n’est pas la manifestation qui oblige les forces policières à se mobiliser, mais c’est l’encadrement par l’appareil policier qui rend possible la mobilisation démocratique. L’état démocratique néo-libéral produit le cadre électoral, technique, médiatique et juridique de la contestation qu’il engendre : cadre légal de la grève, armes de dispersion, « grandes primaires démocratiques », mise en scène télévisuelle du débat démocratique, sont autant de pièces dans un dispositif d’absorption et d’enregistrement des contradictions internes du système.

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      Si la Nuit Debout et le phénomène du casseur, ces deux rejetons mal compris de la mobilisation contre la loi Travail, ressemblent au cauchemar des démocraties néo-libérales, c’est moins parce qu’il mettent en danger le pouvoir, ou compromettent la sécurité des « biens et les personnes », que parce qu’ils incarnent une forme de contestation anonyme résistant volontairement à toutes les formes traditionnelles d’enregistrement de la contestation politique.