Houria Bouteldja des Indigènes de la République, « amoureuse » de Khatibi
par Jules Crétois | 28 juin 2016
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Votre livre s’ouvre sur un réquisitoire contre le philosophe français Jean-Paul Sartre. Puis, vous citez l’intellectuel marocain Abdelkebir Khatibi. Que dit, en substance, ce dernier au sujet de Sartre ?
Il lui reproche d’avoir trahi son propre engagement anticolonial lorsqu’a surgi la question palestinienne. Sartre était incontestablement un grand anticolonialiste qui a fait ses preuves, tant pour ce qui concerne l’Algérie que le Vietnam. Il a achoppé sur la question palestinienne à cause de ce que Khatibi appelle « la conscience malheureuse » et que je préfère appeler « la bonne conscience blanche ».
Pouvez-vous nous expliquer ce que Khatibi entend par « conscience malheureuse » ?
Je ne pourrais pas le dire de manière formelle. Mon interprétation c’est qu’il a compris que la gauche française était à la recherche d’un supplément d’âme avec la découverte des camps de concentration en 1945, et qu’elle devait se racheter pour dépasser sa crise morale. Pour ce faire, elle a utilisé le martyr juif au lieu de chercher une solution pour les Juifs d’Europe, comme par exemple remettre en cause le fonctionnement des États-nations qui fondent leur légitimité sur une partie du peuple au détriment d’une autre. C’est ainsi que l’État-nation français privilégie les chrétiens sur les juifs par exemple.
Qu’avez vous trouvé d’inspirant, en général, dans l’œuvre de Khatibi, dont vous dites qu’elle est trop peu connue ?
C’est une pensée tonique et radicale qui ne s’embarrasse pas de la critique d’une figure majeure, fut-elle Sartre. Il a décelé les angles morts de la pensée sartrienne, ce qui fait d’ailleurs de Vomito Blanco une œuvre majeure.
Ce que Khatibi reproche à Sartre, le reprocheriez-vous à des figures de la gauche française aujourd’hui ?
Plus qu’à de simples figures, à l’ensemble de la gauche radicale française, à quelques exceptions près. Je crois qu’il y a un problème de fond auquel cette gauche ne veut pas faire face. C’est qu’il y a un conflit d’intérêt entre le prolétariat blanc et les peuples du grand Sud puisque le prolétariat occidental tire une partie de ses privilèges de l’exploitation des peuples dominés par l’impérialisme.