• La sororité, cette bénédiction… Et cette pesante injonction | Comment peut-on être féministe ?
    http://www.commentpeutonetrefeministe.net/2016/07/04/sororite-feministe-benediction-injonction

    Quand on est féministe et qu’on milite, quels que soient les terrains concernés, on apprend peu à peu l’importance de la bienveillance entre femmes. Cette bienveillance, qui se traduit en actes et en mots de soutien, en solidarités multiples et en écoute de l’autre, si différente de nous soit-elle, est indispensable et on peut mettre des années à en prendre conscience.

    Quand on tarde à saisir la nécessité de cette bienveillance, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas les autres femmes ou parce qu’on veut absolument faire cavalière seule. C’est plutôt parce qu’on a bien intériorisé cette distance et cette rivalité implicite qu’on nous inculque depuis l’enfance, et qu’on pourrait traduire par : « Recherche la bienveillance des hommes, méfie-toi des autres femmes ». Cela signifie que l’homme, en tant qu’oppresseur et ennemi de classe, peut nous protéger d’un certain nombre de choses pour peu qu’on sache s’abriter auprès de lui. Nous recherchons donc souvent ce qu’on appelle « le sexisme bienveillant » et nous nous enchaînons à l’oppression patriarcale en le faisant, parce que nous ne savons pas comment nous émanciper autrement.

    Cela donne des femmes (j’ai été comme ça) qui affirment qu’elles se sentent mieux en compagnie des mecs, que les meufs ça les emmerde parce qu’elles ont des préoccupations futiles, que les nanas entre elles c’est niaiseries, vacheries et compagnies, qu’avoir des potes mecs c’est tout de même plus sympa, plus franc, plus cool et plus sincère.

    Cela donne aussi des femmes qui ressentent très fort la division féminine instaurée par ce système patriarcal, et qui vont aller spontanément vers une démarche d’empowerment… Mais vont la rechercher auprès des hommes.

    Il faut parfois des années pour sortir de ce système, qui implique une forte misogynie intériorisée. Le jour où on parvient à s’en extraire un peu, c’est cool. On découvre les effets bienfaisants de la sororité ; on cesse peu à peu de taper sur la gueule des autres femmes, on apprend à se soutenir les unes les autres, on abandonne nos critiques acerbes du vernis à ongles et du rose sous prétexte que nous on crache par terre et qu’on porte des pantalons miteux, bref on parvient enfin à s’envisager comme solidaire et bienveillante. Ceci dit, là je schématise, ayant moi-même alterné différentes périodes, allant de « Je cire mes Doc en crachant dessus et je crêpe mes cheveux à la bière avant d’aller pogoter en concert » à « J’ai presque fini de crocheter de la dentelle sur ce mouchoir », en passant par « Chérie, il faut absolument que tu m’aides à choisir entre ces deux bases de teint, je ne suis plus sûre de vouloir utiliser de poudre compacte, ça plâtre mes cernes ». Autant dire que je suis un sacré bordel.

    La sororité est donc une nécessité. C’est même un des plus grands bienfaits en milieu féministe.

    Et c’est également en train de devenir une pesante injonction.

    #féminisme #sororité #injonction

    • Tiens c’est drôle je pensais à cette sororité féministe ce matin, et à la conscience de la bienveillance qui l’accompagne. Je me demandant combien de temps cela allait mettre à s’effacer, à être de nouveau bouffé par l’individualisme et le patriarcat. Parce que je ne crois pas à la courbe ascendante du progrès social (voir les féministes de Barcelone pendant la guerre d’Espagne) et qu’il y a des pics d’espoir qui présagent de redescentes vertigineuses sur les droits des femmes, un espace et un temps circonscrits pour penser, quand la société veut bien s’amuser à croire qu’elle accorderait quelque chose aux opprimé·es.