RastaPopoulos

Développeur non-durable.

  • Le Hezbollah, une force contre-révolutionnaire
    http://www.contretemps.eu/interventions/hezbollah-force-contre-r%C3%A9volutionnaire
    http://www.contretemps.eu/sites/default/files/images/liban-manifs.large.jpeg

    Le Hezbollah a été et reste l’objet de débats vigoureux parmi les chercheurs et entre les différents courants de « gauche » au Moyen Orient et à travers le monde. Certains considèrent encore et toujours le mouvement fondamentaliste islamique libanais comme « anti-impérialiste », estimant qu’il représente une variante arabe de la « théologie de la libération » (qui s’est développée en Amérique latine), en visant une plus grande justice sociale et une réaffirmation de l’identité nationale libanaise face à « l’invasion des valeurs étrangères ».

    Cette vision, soutenue principalement au Moyen Orient par les mouvements de la gauche traditionnelle issues du stalinisme, et certains issus de courants maoistes ou du nationalisme arabe, a été de plus en plus remis en question au fil des années, et surtout après le début des soulèvements populaires dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN). Cet article de Joseph Daher vise à montrer que le Hezbollah est devenu une force contre-révolutionnaire en raison de son opposition à tout changement radical et progressiste au Liban mais aussi au-delà, en particulier en Syrie, en participant à la répression du mouvement populaire syrien aux côtés du régime d’Assad.

    #Hezbollah #moyen-orient #Liban #contre-révolution #Syrie #Assad

    • Je ne trouve pas ça très bon (mais je suppose que ce n’est pas très surprenant)…

      (1) L’auteur (Joseph Daher) tient un blog sur la Syrie :
      https://syriafreedomforever.wordpress.com
      que je n’ai jamais trouvé bien intéressant. Notamment depuis un article de légitimation de l’« opposition armée » en Syrie que j’avais trouvé particulièrement naïf à l’époque (septembre 2012) :
      https://syriafreedomforever.wordpress.com/2012/09/19/nature-role-et-place-de-la-resistance-armee-en-syrie
      Pour rappel, deux mois plus tôt, on avait déjà des choses très claires telles que ceci :
      https://seenthis.net/sites/141310

      Mais l’idée principale ici est que l’auteur se positionne comme un révolutionnaire syrien et part donc de la dénonciation du rôle du Hezbollah dans la répression en Syrie. Le fait qu’il extrapole cette position à une analyse politique du rôle du Hezbollah au Liban le fait, à mon avis, largement passer à côté du sujet. Le titre condense cette difficulté : considérant que le Hezbollah est une force « contre-révolutionnaire » en Syrie de par son rôle en faveur du régime dans la crise syrienne, l’auteur extrapole à « force contre-révolutionnaire » tout court, c’est-à-dire politiquement, socialement et économiquement au Liban. C’est une généralisation qui existe à gauche depuis l’implication du Hezbollah en Syrie (par exemple Fawwaz Traboulsi), et pourquoi pas, mais ça me semble important de le préciser ici, parce que ça amène une certaine forme de « démonstration ».

      (2) Je l’ai déjà écrit dans un article de 2006 :
      http://tokborni.blogspot.fr/2006/12/des-ides-trop-simples-pour-les.html
      Personnellement je n’ai jamais rencontré de gauchiste libanais (mais je ne connais pas tous les gauchistes libanais…) qui soutienne que le Hezbollah serait réellement un force progressiste. Même le PCL (qui, je suppose, rentre dans la catégorie de ce que l’introduction de l’article qualifie d’« issue du stalinisme »), cité en 2006, abordait explicitement la question et son rapport critique. Et je pense que depuis 2006, sa position est encore plus « distanciée » quand à ses espoirs que le Hezbollah soit une force de progrès social. (Mais il ne faut pas non plus nier certains aspects caractéristiques de développement social et de sérieux dans la reconstruction, ni les réduire à de pures considérations sectaires.)

      L’introduction de l’article prétend d’ailleurs qu’il y aurait des mouvements de gauche qui admireraient dans le Hezbollah « une réaffirmation de l’identité nationale libanaise face à “l’invasion des valeurs étrangères”. » Je serais vraiment curieux de savoir qui sont ces mouvements progressistes au Liban qui attendraient réellement que le Hezbollah (islamiste et réactionnaire) s’occupe de la question des « valeurs » dans la société…

      (3) Il y a une malhonnêteté logique dans l’article : il est reproché au Hezbollah de ne pas être ce qu’il n’est pas (un parti socialement progressiste), en occultant ce qu’il est avant tout (la principale composante de la Résistance libanaise à Israël). Si on prend les soutiens de gauche au Hezbollah, l’adhésion vient très clairement de son rôle de résistance ; pas de son côté force de progrès social (ce qui relèverait d’une naïveté sidérante).

      (4) Le premier développement (Le Hezbollah, une base sociale en mutation) n’est pas intéressant, mais surtout très tordu du point de vue logique. En gros, prétendre que le Hezbollah s’embourgeoise parce qu’il est remporte des élections professionnelles chez les pharmaciens. Mais si l’on accepte que le motif de soutien au Hezbollah est d’être la Résistance, et non son (très hypothétique) positionnement anti-capitaliste, ça n’a rien de surprenant. Ce n’est pas un parti de lutte des classes (c’est un parti islamiste, come on…), c’est un parti dont l’identité et la communication sont toutes entières basées sur la résistance, notion qui traverse toutes les classes sociales.

      Cette dénonciation de l’embourgeoisement serait plus pertinente s’il parvenait à expliquer que la popularité du Hezbollah est en baisse dans les classes populaires (ce qui constitue plutôt le fond de commerce d’un Lokman Slim), mais évidemment ce n’est pas le cas.

      Sauf à tordre carrément les citations pour faire leur faire dire n’importe quoi :

      Ces caractéristiques de l’évolution de la représentation politique et de la base sociale du Hezbollah indiquent que même si l’organisation continue d’attirer le soutien de personnes issues de toutes les couches de la société, ses priorités sont de plus en plus orientés vers les plus hautes strates de celle-ci. Le député Ali Fayyad a reconnu cette tendance en 2010, quand il a fait remarquer que « le Hezbollah n’est plus un petit parti, c’est une société entière. Il est le parti des pauvres, oui, mais en même temps il y a beaucoup d’hommes d’affaires en son sein, nous avons beaucoup de gens riches, certains issus de l’élite »

      Je ne vois pas en quoi la déclaration « reconnaît » le changement de « priorités vers les plus hautes strates ».

      (5) Autre difficultés de cette partie :

      1. occulter le fait que la lutte contre le Hezbollah se fait, de manière tout à fait ouverte, avec la volonté de punir économiquement les populations suspectées de le soutenir (et ceci de manière tout à fait confessionnelle : les chiites et les chrétiens) ; parler de l’embourgeoisement des soutiens au parti dans ces conditions relève à mon avis de la rigolade…

      2. ne pas évoquer les sanctions économiques contre les soutiens au Hezbollah, la traque internationale contre ses financements, et les règles draconiennes imposées aux banques libanaises ; ce qui pose deux difficultés logiques : (a) mettre au même niveau l’embourgeoisement du 14 Mars et du Hezbollah, dans ces conditions, relève à nouveau de la rigolade ; prétendre que la « fraction chiite de la bourgeoise » soutiendrait désormais le parti parce qu’elle y trouverait un intérêt financier direct est du plus haut comique ; (b) évoquer les « affaire des corruption » quand, de fait, toute forme de financement de la Résistance libanaise est considérée comme criminelle, bon…

      (6) La partie « L’État confessionel et bourgeois » est un peu plus pertinent, mais pas transcendant non plus. Le Hezbollah est fondamentalement un parti islamiste chiite, je ne vois pas qui – surtout à gauche – irait croire qu’il ne serait pas confessionnel.

      Une fois qu’on a écrit ceci :

      À la lumière de ces développements, il est évident que le Hezbollah ne constitue pas et d’aucune manière, cela depuis un certain temps désormais, un défi pour le système confessionel et bourgeois libanais. »

      je ne vois pas ce qu’il y aurait à ajouter (en dehors du fait que la tournure « à la lumière de ces développements » est d’une remarquable naïveté : parce qu’« avant », ce n’était pas déjà clairement le cas (en réalité, beaucoup pensent, ou espèrent, qu’avec Nasrallah et certaines déclarations suite à la guerre de 2006, toute une partie de la rhétorique du Hezbollah a progressé dans le sens de l’acceptation des orientations politiques de ses alliés).

      Je ne sais pas ce qu’un lecteur pourra comprendre de la citation de Mehdi Amel sur les « couches non hégémoniques » cherchant à occuper des « positions hégémoniques ». Le lecteur pourra avantageusement se référer à la source de cette citation :
      http://revueperiode.net/de-lantifascisme-au-socialisme-strategie-revolutionnaire-dans-la-guerr
      Ce que je suppose (parce que vraiment j’ai rarement vu une utilisation aussi obscure d’une citation totalement jargoneuse), c’est que le Hezbollah reste un parti visant à « rééquilibrer » le confessionnalisme libanais, et non à le supprimer. Si c’est ça, je suis d’accord, mais il me semble assez évident qu’un parti confessionnel est, dans la lutte contre le confessionnalisme politique, bien plus du côté du problème que du côté de la solution.

      Cependant, en reprochant au Hezbollah de ne pas avoir soutenu certains mouvements (« You Stink » en 2015, les mouvements syndicaux précédemment, les difficultés de Charbel Nahas au gouvernement, etc.), je pense qu’il entre à nouveau dans des difficultés. Certes je ne doutes pas que le Hezbollah soit une force socialement et économiquement peu progressiste, mais on ne doit pas non plus occulter que :

      1. le Hezbollah étant « en politique » avec pour souci premier d’être une force politique qui « protège les armes de la Résistance », il devrait être assez évident qu’il aura énormément de mal à soutenir des mouvements qui ne mettent pas clairement en avant leur soutien ouvert à la Résistance (et sinon, oui, par ailleurs je pense qu’il a parfois une tendance paranoïaque dans son approche des mouvements qu’il ne contrôle pas directement) ;

      2. le Hezbollah étant un parti religieux, conservateur, et pas tellement progressiste sur la plupart des questions de gauche (et c’est évident dès ses origines), non seulement il me semble très naïf de lui reprocher ce qu’il n’est pas, mais surtout je trouve très dangereux d’exiger de lui, notamment pour les mouvements de gauche, qu’il s’implique plus en politique et qu’il se mêle de valeurs et d’économie. Les gens de gauche que je fréquente au Liban, pour la plupart, se réjouissent de l’existence d’une telle Résistance, mais pour le reste préfèrent que le Hezbollah ne se mêle pas trop de politique, en dehors de soutenir ses alliés qui protègent le rôle de la Résistance.

      (7) Toute la partie « Idéologie » me semble peu intéressante, en ce qu’elle prétend expliquer des évidences absolues pour les mouvements de gauche libanaise.

      Ainsi :

      La lutte contre la détérioration des conditions d’existence du peuple libanais a toujours été subordonnée à la reconnaissance de la légitimité de la structure armée du Hezbollah, et c’est la raison pour laquelle le Hezbollah a appelé Saad Hariri – à plusieurs reprises – à rechercher des collaborations conjointes et une participation à un gouvernement fondé sur les accords que le parti avait conclus avec son père, Rafiq Hariri. Cela était compris de la manière suivante : le Hezbollah s’occupe de la « résistance » à Israël et Hariri prend en charge les politiques économiques et sociales du pays, chacun n’interférant pas dans les affaires de l’autre27.

      mais à nouveau, le fait que le Hezbollah est une Résistance armée et que sa participation politique au Liban devrait uniquement se préoccuper de protéger l’existence de cette résistance (dans un pays où des milliards de dollars sont injectés pour détruire militaire, économique et politiquement, cette résistance), ne devrait pas chagriner des gens de gauche (qui, eux, devraient se charger du progrès social). Vouloir à tout prix que des islamistes notoirement conservateurs soient le fer de la lance du progrès social au Liban me semble une idée totalement farfelue.

      (8) La partie du texte sur le rapport du Hezbollah aux processus révolutionnaires n’est pas transcendant, surtout qu’il s’agit d’arriver à ceci :

      La prétention du Hezbollah à exprimer sa solidarité avec les opprimés du monde entier est en grande partie basée sur les intérêts politiques propres du Hezbollah, qui sont eux-mêmes étroitement liés à ceux de l’Iran et du régime d’Assad en Syrie. Voilà pourquoi la confrontation militaire entre le Hezbollah et Israël, qui a été au cœur de son identité, a été subordonné aux intérêts politiques du parti et de ses alliés régionaux. L’armement du Hezbollah a été de plus en plus orienté vers des objectifs autres que la lutte militaire contre Israël, selon les contextes et les périodes, y compris des attaques militaires contre d’autres partis politiques à l’intérieur du Liban ou la prévention de tout acteur de résistance autre que le Hezbollah au Sud-Liban.

      La défense de l’ « axe de la résistance » et de l’appareil armé du parti a été utilisée par le Hezbollah comme un outil de propagande pour justifier la politique et les actions du parti, le dernier exemple étant son intervention militaire en Syrie sous le prétexte de défendre la « résistance » contre le « projet américano-israélien-Takfiri ».

      Tout cela est, dans la littérature pro-rebelles en Syrie, d’une banalité absolue. (Le phrase « des attaques militaires contre d’autres partis politiques à l’intérieur du Liban ou la prévention de tout acteur de résistance autre que le Hezbollah au Sud-Liban » est tellement orientée et fausse que c’en est un peu effrayant.)

      Ramené au Liban (sujet central de l’article), un aspect de cette rhétorique revient à reprocher au Hezbollah ne pas être en guerre ouverte contre Israël depuis 2006. Une position que je trouve bien dangereuse…

      (9) Grosso modo, le Hezbollah n’est pas « anti-impérialiste » et pas tellement la « résistance », tout ça c’est un alibi. C’est juste qu’Israël, les États-Unis, les pays européens quand ils s’alignent sur la droite israélienne, les pétromonarchies du Golfe… dépensent des milliards de dollars, de manière continue, pour tenter de le faire disparaître. (L’occulation des impératifs stratégiques et géopolitiques dans la région est une constante de ce genre de littérature.)

      (10) Une importante occultation dans ce texte (là encore très classique), est de reprocher les slogans et les comportements sectaires du Hezbollah, sans évoquer une situation géopolitique dans laquelle l’excitation sectaire anti-chiite est une des armes centrales et permanentes déchaînées par les médias du Golfe, les prédicateurs salafistes, le 14 Mars libanais, les propagandistes de la rébellitude syrienne, etc.

      Alors certes le sectarisme c’est mal, mais ne pas replacer l’évolution du discours du Hezbollah, depuis 2011, dans un environnement d’agitation sectaire généralisée, et qu’il perçoit comme spécifiquement dirigée contre la Résistance, c’est passer à côté d’une partie du problème.

      Autre aspect : n’extraire que les détails sectaires, et détournés de leur sens (par exemple l’explication, par Nasrallah, de l’intervention pour protéger le sanctuaire de Zaynab, en occultant le fait qu’il l’avait justifiée pour éviter une réaction sectaire incontrôlable des chiites), en occultant les efforts permanents de Nasrallah, dans ses discours, pour éviter les dérives sectaires dans sa propre base.

      (Et pour mémoire, l’auteur de l’article, plusieurs semaines après la bataille d’Alep en 2012, fantasmait encore sur la nature résolument révolutionnaire et démocratique des groupes armés en Syrie. Ce qui fait qu’on est là encore dans une logique très classique, à la Burgat/Caillet.)

      (11) Du charme des considérations théoriques : la Palestine aux calendes grecques :

      La libération de la Palestine et de ses classes populaires est liée de manière étoite à la libération et à l’émancipation des classes populaires dans la région, contre leurs classes dirigeantes et les divers forces impérialistes et sous-impérialistes agissant dans le cadre régional.

      L’auteur est d’ailleurs assez friand du verbiage ultra-daté sur le thème de « la route de Jérusalem passe par… ». En 2014 :
      https://syriafreedomforever.wordpress.com/2014/11/21/voix-de-yarmouk-syrie-et-palestine-une-lutte-commune-

      La libération de Jérusalem commence par la libération de Damas, je le dis en tant que Palestinien qui a grandi en Syrie et à moitié syrien par ma mère.

      ou, encore mieux, en 2013 :
      https://syriafreedomforever.wordpress.com/2013/11/22/le-peuple-syrien-ne-se-soumettra-pas-ni-face-au-regim

      Cela n’empêche pas de soutenir la résistance du peuple palestinien, mais son destin est lié à ceux des peuples la région. La route de la libération de Jérusalem passe par Damas, Beyrouth, Amman, le Caire, Tunis…

      (12) Et pour finir : y a qu’à, faut qu’on… (ou : je viens de me merder ma belle révolution en Syrie, je vais t’expliquer comment la réussir au Liban).

      En termes plus positifs, il faut chercher à construire un grand mouvement liant les questions démocratiques et sociales, s’opposant à toutes les forces impérialistes et sous-impérialistes, tout en favorisant des politiques progressises, une transformation sociale par en bas par la construction de mouvements dans lesquels les individus sont les véritables acteurs de leur émancipation.