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Académie ESJ, et cacadémie esj

  • Emmanuel Todd : « L’étape numéro 4, après le réveil de l’Allemagne, de la Russie, et du Royaume-Uni, doit être le réveil de la France. Suivre les Anglais est conforme à notre tradition révolutionnaire »

    Le Brexit, et après ? L’historien et démographe Emmanuel Todd s’exprime en exclusivité pour Atlantico pour analyser en profondeur la signification du vote britannique en faveur d’une sortie de l’Union européenne. Grand entretien.


    . . . . . Extrait
    Ce référendum sur le Brexit, dans cette logique, c’est l’étape numéro 3 : la réémergence du Royaume-Uni en tant que nation. 

    Et quelle serait la spécificité du Royaume-Uni dans cette dynamique de retour à la nation ?

    Ils ne sont pas les premiers mais c’est probablement l’étape la plus importante parce que c’est l’un des deux pays leader de la mondialisation. Avec Margaret Thatcher, ils avaient un an d’avance sur les Etats-Unis dans la révolution néo-libérale. Ils font partie de ces pays qui ont les premiers impulsé cette logique. Un re-basculement anglo-américain vers l’idéal national est plus important que l’émergence allemande ou la stabilisation russe. Depuis le XVIIe siècle, l’histoire économique et politique du monde est impulsée par le monde anglo-américain. La nation anglaise a deux caractéristiques combinées et contradictoires. Il s’agit d’abord de la culture la plus individualiste d’Europe, la plus ouverte ; c’est le pays qui a inventé la liberté politique. Ensuite, et paradoxalement, c’est aussi une identité nationale à base ethnique pratiquement aussi solide que celle des Japonais. Comme les Japonais, les Anglais savent qui ils sont. 

    Si l’on suit votre raisonnement de retour à la nation, après l’Allemagne, la Russie, et maintenant le Royaume-Uni, quel pays est le suivant ? 

    Pour accepter ce que je vais dire, il faut sortir des poncifs sur l’Angleterre, ces Anglais bizarres qui ont des bus à deux étages, qui roulent à gauche, qui ont de l’humour, une reine respectée, etc…Tout cela est vrai. Mais il faut surtout voir les Anglais en leader de notre modernité, dans la longue durée braudélienne. La révolution industrielle est venue d’Angleterre et d’Ecosse, et elle a économiquement transformé l’Europe. Les révolutions industrielles française, allemande, russe et les autres n’en sont que les conséquences. Mais avant même la transformation économique, les Anglais ont inventé notre modernité libérale et démocratique. Le véritable point de départ, c’est 1688, ce que les Anglais appellent la « Glorious Revolution » par laquelle la monarchie parlementaire a été établie. Si vous lisez les « lettres anglaises » de Voltaire de 1734, vous verrez son admiration pour la modernité anglaise, avec des choses très drôles sur les quakers ou l’absence de vie sexuelle de Newton. En 1789, le rêve et l’objectif des révolutionnaires français, c’est de rattraper l’Angleterre, le modèle de la modernisation politique. C’est le modèle, que j’accepte, de Daron Acemoglu et James Robinson, dans leur bestseller Why Nations Fail, d’autant qu’ils sont très sympas pour la France ; ils soulignent que l’apport de la Révolution française à l’ensemble du continent a été capital, que notre Révolution a généralisé l’idéal d’inclusion du peuple. Reste que c’est l’Angleterre qui a inventé le gouvernement représentatif.

    Dans ce contexte, il n’est pas illogique de constater que le premier référendum qui aura vraiment des conséquences pour l’Union européenne, le référendum historique, a eu lieu au Royaume-Uni. Un référendum est une procédure inhabituelle en Angleterre. Mais l’objet de ce référendum, et cela est très clair, c’est que la première motivation des électeurs du Brexit, selon les sondages « sortie des urnes », c’est, avant l’immigration, le rétablissement de la souveraineté du Parlement. Car jusqu’au Brexit, le Parlement anglais n’était plus souverain alors que le principe de philosophie politique absolu pour les Anglais, c’est la souveraineté du Parlement.
    Je conclus : logiquement, l’étape numéro 4, après le réveil de l’Allemagne, de la Russie, et du Royaume Uni, doit être le réveil de la France. Suivre les Anglais est conforme à notre tradition révolutionnaire.

    A vous entendre, finalement, et en suivant votre logique, l’axe qui convient pour « changer l’Europe », n’est plus le couple franco-allemand, mais le couple Paris-Londres ?

    Oui. Il y aura une Europe des nations. Mais dans cette Europe des nations, pacifique, j’espère, il y aura toujours des problèmes d’équilibre des puissances et, bien entendu, l’Allemagne va rester quelques temps encore la puissance économique prédominante. A moyen terme, la crise démographique et l’aventurisme migratoire des Allemands laissent présager une grave crise politique dans le pays, et sur le continent - mettons dans les 20 ans qui viennent.
    L’une des fautes majeures des dirigeants français est de ne pas avoir compris, de ne pas avoir été capables d’anticiper que le bon rééquilibrage avec l’Allemagne, ce n’était pas l’euro, qui nous détruit, mais l’axe Paris-Londres,
    inéluctable à moyen terme, qui ne définira pas un couple de circonstance parce qu’il est dans la logique des forces et des cultures.

    Il y a un grand mensonge des élites françaises lorsqu’elles prétendent se méfier de l’Angleterre. C’est en réalité le seul pays européen auquel nous faisons absolument confiance et c’est pour cela que c’est le seul pays avec lequel on peut efficacement collaborer sur la sécurité militaire. Ce n’est pas technique, cela révèle un rapport de confiance extrêmement fort. Continuons à dévoiler la réalité. Il n’y a que quelques dizaines de milliers de Français à Berlin alors qu’il y en a des centaines de milliers à Londres. Comme il y a des Anglais en France. Il y a deux mégalopoles jumelles en Europe, qui sont Londres et Paris. Les dynamiques démographiques des deux pays sont les mêmes, proches de deux enfants par femme. Le discours sur l’opposition entre l’Angleterre néolibérale et inégalitaire et sur la France de l’Etat social contient un élément de vérité, mais lorsque l’on observe ces deux pays, on voit qu’ils évoluent en parallèle, sur l’oppression des jeunes, les privilèges des vieux. Toutes les nations sont différentes. Mais l’objectivité comparative doit nous faire admettre que le véritable monde étranger, avec ses jeunes si rares, ses loyers bas dus à la dépression démographique, son union structurelle de la gauche et de la droite, son autoritarisme social, c’est l’Allemagne, pas l’Angleterre. 

    Et comment s’opérera cette période de transition vers une Europe des Etats-nations ?
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    L’article dans son intégralité : http://www.atlantico.fr/decryptage/emmanuel-todd-etape-numero-4-apres-reveil-allemagne-russie-et-royaume-uni-

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