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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Le mystère de la baie empoisonnée de Minamata

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/21/minamata-la-baie-empoisonnee_4972722_1650684.html

    En 1950, sur les plages, on commence à voir s’échouer des poissons morts. Personne ne fait vraiment attention. Un peu de temps passe et des promeneurs se mettent à raconter des histoires étranges : on voit dans la région des mouettes et des corbeaux incapables de prendre leur envol, leurs ailes prises de mouvements désordonnés et erratiques.

    Et puis ce sont les chats. Brutalement pris de spasmes, ils sont emportés par une danse de Saint-Guy qui les précipite parfois dans la mer et finit toujours par les tuer. C’est, enfin, sur les enfants, les femmes et les hommes de la baie de Minamata, dans l’extrême sud de l’archipel nippon, que le voile du cauchemar se dépose.

    « A la fin de l’année 1953, une mystérieuse maladie du système nerveux central commence à affecter les villageois de la baie de Minamata et, en 1956, elle prend des proportions épidémiques », écrivent deux médecins, Douglas McAlpine et Shukuro Araki, le 20 septembre 1958, dans la revue britannique The Lancet.

    C’est le premier article sur le sujet publié dans la littérature médicale internationale : le monde découvre la « maladie de Minamata », du nom de la ville enrôlée à son insu dans une sorte de vaste expérience qui fera plusieurs dizaines de milliers de victimes – le chiffre est âprement débattu et des procès sont toujours en cours.

    Infirmité motrice

    Les rapports des deux médecins sont glaçants. « Famille Kaneko : en 1954, le père a été frappé de dysarthrie [trouble de l’articulation], de tremblements et d’ataxie [trouble de la coordination]. Son état s’est lentement détérioré et il est mort en juin 1955 », écrivent-ils.
    Dans le même temps, ses deux enfants développent des troubles semblables, qui apparaissent un peu partout dans la région. « Famille Tanaka : en mars 1956, fébrilité d’une petite fille de 6 ans, pendant une journée. Ensuite, pendant deux à trois semaines, développement progressif d’une ataxie, d’une dysarthrie, d’une dysphagie [difficultés à la déglutition]. (...) En février 1958, elle était devenue sourde, muette, déficiente mentale et incapable de s’asseoir. »

    Bien vite, les troubles graves du développement explosent chez les nouveau-nés de la région. Une centaine de bébés nés au cours de la seule année 1955 dans la zone de Minamata développent une infirmité motrice cérébrale lourde. Dès les premières enquêtes, la thèse d’un empoisonnement par les produits de la mer s’impose. Mais par quoi ont été contaminés les animaux marins ?

    Responsabilité du méthyle-mercure

    « Il y avait à Minamata une usine chimique de la société Chisso qui déversait ses effluents dans la baie, raconte le spécialiste de santé environnementale Philippe Grandjean (université du Danemark-Sud, Harvard School of Public Health), auteur d’un ouvrage sur la pollution et le système nerveux central (Cerveaux en danger, Buchet-Chastel, 300 p., 22 euros). Or, l’usine avait mis au point un nouveau système de production de chlorure de vinyle qui utilisait du mercure comme catalyseur. » Ce dernier est déversé dans la mer sous sa forme la plus toxique : le méthyle-mercure.

    Pourtant, la thèse du mercure n’est pas évidente. D’abord parce que Chisso a longtemps nié qu’il y en ait la moindre trace dans ses effluents. Et puis, souligne Philippe Grandjean, « les nouveau-nés développaient des symptômes très marqués alors que leurs mères ne semblaient pas souffrir outre mesure des niveaux de mercure auxquels elles étaient exposées ».

    En 1959, un groupe d’experts réunis par le ministère de la santé japonais met en avant la responsabilité du méthyl-mercure mais s’abstient de mentionner la source de contamination, faute de « preuve scientifique ». Pour avoir le fin mot de l’histoire, il faut un peu de chance.

    « Dans cette région du Japon, les familles gardent dans une petite boîte le cordon ombilical de chaque enfant, comme porte-bonheur, raconte Philippe Grandjean. Un jeune étudiant en médecine, Masazumi Harada, a convaincu de nombreuses familles de lui en donner des fragments. Il a dosé la quantité de mercure présent dans chacun et a ainsi pu montrer que les enfants touchés par la maladie étaient ceux qui avaient été exposés à de fortes doses de mercure. » La preuve était apportée.

    Echantillons de cordon ombilical

    Mais jusqu’en 1968, Chisso et l’Etat japonais ont nié la responsabilité de l’usine… Ce n’était pas faute de savoir. En 1970, le médecin-chef de Chisso, Hajime Hosokawa, avoue sur son lit de mort que la société a conduit ses propres expériences, dès 1959 sur des chats, et a démontré sans l’ombre d’un doute que le méthyl-mercure présent dans les effluents de l’usine est la cause du mal. Le docteur Hosokawa, maître d’œuvre de l’expérimentation, avait reçu l’ordre de se taire… Et il s’est tu.

    Premier cas d’intoxication environnementale à grande échelle, la maladie de Minamata a montré que le cerveau en développement, lors de la vie intra-utérine, est sensible à certains polluants. Car, grâce aux échantillons de cordon ombilical testés, il est apparu que de très faibles niveaux de contamination au mercure peuvent expliquer des retards mentaux.

    Un demi-siècle de recherches ultérieures ont non seulement montré que le mercure issu des activités minières ou industrielles finit par s’accumuler dans la chaîne alimentaire marine, mais aussi qu’il altère les cerveaux en développement. Avec le risque de voir s’éroder les capacités cognitives des nouvelles générations.

    La communauté internationale commence seulement à prendre la mesure du problème. En 2009, les Nations unies préparent un traité pour faire cesser les émissions de mercure dans l’environnement et l’ouvrent à la signature quatre ans plus tard. Il est signé à ce jour par 128 pays, et 28 l’ont ratifié. Son nom tombe sous le sens : c’est la convention de Minamata.

    #William_Eugene_Smith #Minamata