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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Mitochondrie, quand l’usine cellulaire débraye

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/29/mitochondrie-quand-l-usine-cellulaire-debraye_4989425_1650684.html

    La mitochondrie. Ce nom évoque pour vous quelque réminiscence scolaire ? Rien d’étonnant : nos manuels de lycée foisonnent d’images d’Epinal de la cellule. Autour du noyau, trônant en majesté, gravitent une myriade de satellites étranges, les organites, corpuscules aux formes fantasques, aux fonctions très spécialisées. Parmi eux, les mitochondries. Ces édifices baroques, nul architecte n’aurait osé les concevoir : des haricots joufflus, cernés d’une double enveloppe. Leur « peau » interne dessine une multitude de plis et replis. Ce sont les crêtes mitochondriales, vagues ourlées tout en courbes et rondeurs.

    Sur ces vagues déferle un flux de molécules que les mitochondries produisent à la chaîne : c’est le fameux ATP (adénosine triphosphate), fournisseur d’énergie universel des cellules. Sans lui, nulle contraction musculaire, nul battement cardiaque, nul influx nerveux filant dans nos neurones ! Cette mission vitale, les mitochondries l’accomplissent avec une redoutable efficacité : chaque jour, elles fabriquent l’équivalent de notre propre poids en ATP.

    Telle est leur face « Dr Jekyll ». Leur sombre visage, elles le révèlent, en cas de dysfonctionnement, avec les effets dévastateurs des maladies mitochondriales.

    « Maxence est né le 21 mai 2007 ; il nous a quittés le 3 novembre de la même année. Il s’est battu cinq mois et demi », témoigne sa maman, Carine Tuffery. Dès le début, elle sent que quelque chose ne va pas : « Maxence s’étouffait, il semblait très fatigué. » Un scanner montre une anomalie cérébrale. L’analyse des biopsies de muscle et de peau du nourrisson, dans un autre hôpital, fait suspecter une maladie mitochondriale.

    Maxence est dirigé vers l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP, Paris), où le diagnostic est confirmé. L’atteinte est sévère, avec un déficit sur deux grands complexes de protéines mitochondriales, ces molécules qui font tourner la chaîne respiratoire. « Cela ne pouvait pas fonctionner. » Le bébé suit des traitements lourds contre son trouble métabolique, contre son épilepsie… « Ce sont des choses qu’on ne souhaite à personne. » A l’époque, son frère aîné a 8 ans ; sa sœur, 5 ans et demi. « Pour eux aussi, ce fut un parcours du combattant. Mais ils savent ce que c’est que d’aider les autres. » Il faudra huit ans à l’équipe du professeur Arnold Munnich, à l’hôpital Necker, pour découvrir le gène en cause, ECHS1, en 2015. « Maxence n’avait pas été oublié ! »

    Une personne sur 5 000 est touchée

    On recense plus de 390 maladies mitochondriales. Chacune d’elles est très rare. Mais au total, environ une personne sur 5 000 est touchée par l’une de ces affections. Certains déficits sont limités à un organe comme l’œil. Mais le plus souvent, les défaillances sont multiples, avec des atteintes neurologiques et musculaires dominantes.

    « Le diagnostic est difficile et complexe, du fait de la grande hétérogénéité des présentations cliniques : encéphalopathie, épilepsie, diabète, surdité, cécité, cardiomyopathie, insuffisance hépatique… »,écrivent Agnès Rötig, de Necker, Annabelle Chaussenot et Véronique Paquis-Flucklinger, du CHU de Nice, sur le site Extranet de cet hôpital. En sus de Necker, le diagnostic de ces maladies est pratiqué à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, celui du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), et dans de nombreux CHU en ­province (Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Nice, ­Angers…), organisés en réseau.

    Quels sont les progrès dans ce domaine ? « Voilà plus de vingt-cinq ans que je suis aux côtés de ces enfants et de ces familles. L’avancée majeure vient de l’élucidation des gènes en cause. Plus de 150 sont connus à ce jour », assure le professeur Munnich. Un progrès lié à l’arrivée du séquençage à haut débit de l’ADN, à l’Institut Imagine à Necker. « En vingt-cinq ans, on est passé d’un taux de diagnostic de 0 % à plus de 40 %, avec des effets favorables sur la prévention, le conseil génétique et le diagnostic prénatal. Les familles éprouvées peuvent enfin avoir des bébés en pleine santé », dit Arnold Munich.

    « Comme une poupée de chiffon »

    L’histoire de la famille de Juliette en est une illustration. A sa naissance, le 8 août 2011, la maman, Carine, a 36 ans ; c’est son premier-né : « Juliette pleurait beaucoup, elle ne s’alimentait pas bien », se souvient-elle. La nuit du 20 au 21 octobre, elle la trouve « comme une poupée de chiffon ». Transférée aux urgences pédiatriques de La Roche-sur-Yon, puis en réanimation au CHU de Nantes, la petite fille subit une batterie d’examens. Mais son état s’aggrave, elle doit être intubée. « Juliette est partie à 3 mois et demi. »

    En février 2014, le gène de la maladie de Juliette, NDUFS4, est trouvé à Necker. « Ce fut un grand soulagement. Un nouveau projet parental devenait possible », dit Carine. Mais elle a 40 ans : le temps presse. Après une stimulation ovarienne, une nouvelle grossesse survient. Le bébé est indemne, montre le diagnostic prénatal. Charlotte naît le 20 novembre 2015, en pleine santé.

    « J’ai vu des parents soulagés au-delà de l’imaginable par la découverte du gène responsable de la maladie. Et ce, même après la disparition de leur enfant, même si le couple ne pouvait avoir un autre bébé, confirme Françoise Tissot, présidente de l’Association contre les maladies mitochondriales (Ammi), très investie dans le soutien à la recherche et aux familles. Cette annonce est une forme de réparation, elle aide ces familles dans l’accompagnement d’un impossible deuil. » La plus grande des injustices, dit-elle, « est de naître avec une maladie qui ne laisse aucune chance. »

    Quand l’enfant survit, c’est souvent au prix d’un polyhandicap. Tristan a aujourd’hui 24 ans. « A 2 ans et demi, il ne marchait pas, raconte sa maman, Aliette. Puis il a fait une crise d’épilepsie très sévère. » Un diagnostic de maladie mitochondriale est posé. Tristan débute un traitement par le coenzyme Q (une vitamine qui participe à la chaîne respiratoire dans les mitochondries). Mais la maladie évolue. « Nous avons essayé la scolarisation, mais Tristan avait des absences et il chutait. » Il parvient, un temps, à marcher avec un déambulateur. Aujourd’hui la station debout est impossible. « Tristan comprend ce qu’on lui dit. Il sait ce qu’il veut, mais nous avons du mal à le comprendre. »

    Colorées au microscope électronique à transmission (MET) des mitochondries (en bleu) dans un adipocyte (cellule graisseuse).
    Aujourd’hui le jeune homme est pris en charge dans un Institut médico-éducatif (IME). La limite d’âge, en principe, est de 18 ans. « Pour Tristan, nous avons pu reculer cette limite à 25 ans. » Mais l’an prochain ? « Les structures pour adultes ­manquent de place. C’est un gros souci », se désole Aliette. En 2008, le gène responsable de la ­maladie de Tristan, le gène COQ, est découvert à Necker. A 38 ans, Aliette entame une nouvelle grossesse, qui doit être interrompue : le fœtus est atteint. Par bonheur, Auxane naîtra en février 2009, en pleine santé.

    Quels traitements proposer aux malades ? La plupart des thérapies visent à atténuer les symptômes. Dans de très rares cas,on dispose d’un traitement à visée curative. Par exemple, dans le déficit en thymidine phosphorylase, le patient peut bénéficier d’une greffe de moelle osseuse qui restaure un taux suffisant de l’enzyme manquante : la greffe détoxique l’organisme de la thymidine accumulée. De même, les transplantations cardiaques sont bénéfiques en cas de mutations du gène ACAD9, par exemple. « On n’hésite plus à procéder à des transplantations d’organes. Et l’on prend en compte chaque symptôme. Les enfants ne guérissent pas encore, mais on transforme une maladie fatale en maladie chronique », résume le professeur Munich.

    Les seuls organites à posséder leur propre ­génome

    Ici, une digression est bienvenue. Elle concerne cette autre excentricité des mitochondries : ce sont les seuls organites à posséder leur propre ­génome. Pour autant, elles font appel au génome du noyau cellulaire pour coder 95 % des protéines qui servent à produire l’ATP. Le reste est codé par leur génome. Plus singulier encore : ce ­génome mitochondrial est doté de son propre code génétique (le code qui convertit l’ADN en ARN, puis en protéines). Et ce dernier diffère légèrement de celui du noyau !

    Cette bizarrerie s’explique : les mitochondries sont des ovnis cellulaires. Sauf que l’objet dont ­elles dérivent ne vole pas, et qu’il est à demi identifié : c’est une bactérie. Retour sur une fascinante aventure évolutive. Imaginons notre planète, il y a 2 ou 2,5 milliards d’années. L’oxygène sur la Terre reste rare ; nulle plante, nul animal n’existe encore. Voyez cette bactérie aérobie : elle est autonome. Plus pour longtemps : la voilà avalée par une autre cellule, probablement une archée (un être unicellulaire sans noyau). Par cet acte inspiré, l’archée vorace crée une endosymbiose : une coopération bénéfique aux deux parties. La bactérie se trouve protégée et nourrie ; l’archée devient capable de respirer l’oxygène atmosphérique et/ou de disposer d’une source considérable d’énergie. On suppose que cette archée a ensuite (ou en parallèle) grossi, puis formé des replis en son centre pour construire un noyau. De là dérivent tous les eucaryotes, ces organismes formés de cellules dotées d’un noyau. Un très vaste empire, puisqu’il regroupe les plantes, les animaux, les champignons, les levures et leurs cousines !

    Ce scénario a été en partie revu en février, dans Science, par Steven Ball, du CNRS à Lille. Selon lui, la cellule hôte n’aurait pas avalé cette bactérie : celle-ci l’aurait infectée ! C’est parce que cette bactérie aurait su neutraliser les défenses immunitaires de son hôte qu’elle aurait pu s’y maintenir. La thèse est controversée, mais une certitude demeure : nos précieuses mitochondries dérivent bien d’une bactérie qui a été recyclée.

    Quid du « bébé à trois parents », très médiatisé ?

    Autre particularité de ces organites hors norme : lors de la reproduction sexuée, seule la mère transmet ses mitochondries à ses enfants. D’où cette quasi-fatalité : un enfant héritera presque toujours des mitochondries maternelles dont l’ADN est muté – « presque », car l’ovocyte, dans ces cas, contient aussi quelques mitochondries non mutées qui, par chance, peuvent être transmises à l’enfant, mais c’est très rare.

    « Cette transmission maternelle quasi systématique culpabilise beaucoup les mères porteuses saines, relève Françoise Tissot. Le couple a besoin d’un soutien psychologique. D’autant qu’un nouveau projet parental nécessite une démarche lourde, assistée médicalement. » Avoir un enfant indemne, dans ce cas, impose le recours à la ­fécondation in vitro (FIV) avec don d’ovocytes ; ou bien, une FIV avec l’ovocyte maternel, suivie d’un diagnostic préimplantatoire.
    Quid du « bébé à trois parents », très médiatisé ? Interdite en France, cette technique a été autorisée par le Parlement britannique en février 2015. Il s’agirait de réaliser une fécondation in vitro entre le spermatozoïde paternel et l’ovocyte maternel, contenant des mitochondries défectueuses. Ensuite, le noyau de cet œuf fécondé serait introduit dans l’ovocyte énucléé d’une donneuse, qui fournirait ainsi des mitochondries intactes. Le patrimoine génétique de la mère (l’ADN du noyau) serait alors transmis à l’enfant.

    Aucun « bébé à trois ADN » n’a encore été conçu. Outre les réserves éthiques que cette pratique soulève, se pose le problème de la rareté des ovocytes disponibles pour la FIV. Surtout, la question de son innocuité fait débat. Une étude semble donner raison aux partisans de la prudence. Publiée dans Nature le 6 juillet, elle s’est intéressée à des souris dotées d’un même ADN nucléaire, mais de mitochondries d’une autre origine. Jeunes, ces souris semblaient en bonne santé. Mais, à mesure qu’elles prenaient de l’âge, elles présentaient des altérations de leurs fonctions mitochondriales, des voies de signalisation de l’insuline et des marqueurs du vieillissement. Leur santé était affectée, leur longévité diminuée. « On ignore les effets à long terme d’un mélange d’ADN nucléaire et d’ADN mitochondrial d’origines différentes », met en garde l’auteur, José Antonio Enriquez, du Centre espagnol d’études cardio-vasculaires à Madrid.

    « On a longtemps cru que le noyau cellulaire était seul maître à bord, indique Annie Sainsard-Chanet, professeure de génétique à l’université Paris-Sud. Mais la mitochondrie a son mot à dire : elle envoie des signaux au noyau pour qu’il ajuste la programmation de cet organite, par exemple, en réponse à un environnement délétère. » Julie Steffann, de l’Inserm à Necker, renchérit : « Pour qu’une mitochondrie soit active, il faut une coopération entre deux génomes, celui du noyau et celui de la mitochondrie. Comment la mitochondrie signale-t-elle au noyau qu’il doit fabriquer beaucoup ou peu de protéines mitochondriales ? Cela reste, en grande part, un mystère ! » Le génome du noyau a co-évolué avec ses propres mitochondries depuis des lustres, souligne-t-elle. L’introduction de mitochondries exogènes risque de perturber leur dialogue bien rodé.

    Un mot, pour finir, sur une perspective évolutive. Le génome mitochondrial mute dix fois plus que le génome du noyau. D’où l’hypothèse développée dans Cell, en septembre 2015, par Douglas Wallace, qui dirige le Centre de médecine mitochondriale à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie (Pennsylvanie). Selon lui, les mutations de l’ADN mitochondrial permettraient une adaptation rapide et souple des individus à des changements de leur environnement. Cela, sans mettre en péril les espèces : seules les mutations mitochondriales bénéfiques seraient retenues, les ovules portant des mutations délétères étant éliminés avant la fécondation. « Dans des pays chauds, par exemple, les populations s’adapteraient grâce à leur génome mitochondrial : elles feraient plus d’ATP et moins de chaleur. Ce serait l’inverse dans les pays froids, explique Anne Lombès, de l’Inserm à l’Institut Cochin, à Paris. La thèse est séduisante, mais difficile à vérifier. »