• #Laïcité ou #identité ?
    http://www.liberation.fr/debats/2016/08/29/laicite-ou-identite_1475306

    Contrairement à d’excellents interprètes, je ne pense pas que la « laïcité identitaire » dont nous voyons aujourd’hui se développer le programme à droite et à gauche de l’échiquier politique représente une simple accentuation de l’héritage hobbesien ou sa revanche sur l’interprétation libérale, même si je vois bien quels arguments ont favorisé l’instrumentation d’une conception juridique, morale, pédagogique de l’autorité publique, son glissement vers l’idée d’un « ordre des valeurs » baptisées républicaines et laïques, mais en réalité nationalistes et islamophobes. Je crois qu’il s’est produit quelque chose comme une mutation.

    L’équation symbolique qui sous-tend la laïcité identitaire doit en effet être restituée dans toute son extension : ce qu’elle pose, c’est que l’identité de la République réside dans la laïcité, et, corrélativement, que la laïcité doit servir à l’assimilation des populations d’origine étrangère (ce qui veut dire en clair : coloniale et postcoloniale), toujours encore susceptibles, de par leurs croyances religieuses, de constituer un « corps étranger » au sein de la nation. Obsédée par la nécessité de faire barrage au « communautarisme », elle en vient donc à construire (au moyen de « valeurs », mais aussi de normes et d’interdits culturels) un communautarisme d’Etat. Mais il y a plus grave, surtout dans la conjoncture actuelle : le symétrique, ou le synonyme inversé, de l’assimilation, c’est l’acculturation. Or cette notion est le fer de lance de l’offensive idéologique du fondamentalisme islamique qui dénonce l’emprise de la civilisation « chrétienne » et « séculière » sur les communautés musulmanes en Europe (et sur les sociétés arabo-musulmanes « modernisées »), en tirant même à l’occasion une légitimation du jihad, comme on peut le lire sur différents sites internet.

    La construction de la laïcité comme identité collective, nationale, sous-tendue par l’idée que la République implique l’assimilation (et non pas seulement l’intégration à la vie sociale et l’accomplissement des obligations civiques), est ainsi attirée dans un scénario de rivalité mimétique avec le discours totalitaire dont, dans le même temps, la politique française prétend se prémunir. Le moins qu’on puisse dire est qu’une telle construction ne servira ni à comprendre la nature des périls, ni, puisque « nous sommes en guerre », à forger la solidarité des citoyens.