• Frédéric Lordon au Bondy Blog : Le racisme institutionnel est « une évidence »
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    Bondy Blog : Le 20 avril dernier, à la Bourse du travail de Paris, vous aviez parlé de “violence identitaire raciste” en France. Selon vous, le racisme institutionnel s’applique dans l’Hexagone ?
    Frédéric Lordon : C’est une telle évidence que je me demande s’il est bien nécessaire d’en dire long à ce sujet. Jacques Rancière a souvent montré combien les imputations de racisme faites au peuple dissimulent un racisme d’élites et un racisme d’État. Faut-il que je rappelle les “Auvergnats” de Hortefeux ou la sortie de Valls sur les Roms, inintégrables et voués au renvoi ? Mais des comme ça, on n’en finirait pas d’en aligner ! Il faudrait reprendre systématiquement les discours de certains politiques ou de certains éditorialistes et y substituer méthodiquement le mot “juifs” aux mots “musulmans“, “roms”, etc., pour prendre conscience du degré d’horreur de ce qui se dit communément aujourd’hui. Faut-il en faire des tonnes également pour redire ce que tout le monde sait, le racisme d’un nombre alarmant de policiers, mais qui, comme toujours, trouve ses conditions de possibilité dans les autorisations implicites venues du haut, des discours officiels et de leurs formulations à demi-mots, et de toute une ambiance installée par de nuisibles faiseurs d’opinion ? De ce point de vue, on ne peut pas ne pas mentionner les éructations de personnages totalement décompensés comme Finkielkraut ou Zemmour. Lors de ce fameux meeting du 20 avril, j’ai dit que la société française est ravagée par deux violences d’échelle macroscopique : la violence sociale du capitalisme et la violence identitaire-raciste, dont Finkielkraut et Zemmour sont les plus notoires propagateurs. Comme toujours, il faudra le recul du temps pour soupeser les responsabilités historiques. J’ose à peine souhaiter que ce moment vienne car, s’il vient, c’est que nous serons passés par de terribles catastrophes.
    “Il y a une forte tendance dans les milieux étatiques, à considérer que le mensonge d’institution à propos des racisés ne porte pas vraiment à conséquence”
    Bondy Blog : Quel regard portez-vous sur la mort d’Adama Traoré et les déclarations du procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier ?
    Frédéric Lordon : La coïncidence la plus extravagante, dont je m’étonne d’ailleurs qu’elle ait été si peu remarquée, tient à ce que, au moment même où le procureur Jannier s’enfonce dans le mensonge d’institution, Valls, comme toujours dans ce registre de l’indignation surjouée qui est le sien, se scandalise de “la remise en cause permanente de la parole de l’État” – le même jour ! Le mensonge est propre aux institutions, spécialement aux institutions d’État, la police en tout premier lieu, hélas trop souvent aidée de la “justice”, et, entre Cahuzac et la mort de Rémi Fraisse, ce quinquennat en aura donné une confirmation de plus, en parfaite continuité, comme beaucoup d’autres choses, avec le précédent. On tient visiblement avec cette mystérieuse surmortalité de fourgon et de cellule, frappant étonnamment une catégorie particulière de population, une formidable énigme offerte à la science sociale des institutions. Ce qui est parfois effarant avec le bobard d’institution, c’est sa grossièreté. Laisser entendre qu’Adama Traoré est mort des suites d’une infection généralisée qui le laissait pourtant en excellente santé quelques heures auparavant, c’est une ignominie, une insulte à l’intelligence des gens et plus encore au respect qu’on doit à sa famille. La suprême perversité consistant d’ailleurs à ne rien dire qui soit “techniquement” faux. Je pense qu’il y a une forte tendance dans les milieux étatiques, à considérer que le mensonge d’institution à propos des racisés ne porte pas vraiment à conséquence.