Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • https://www.youtube.com/watch?v=K3aCuKBWE3A

    J-234 : je trouve contre le pas de ma porte, comme un voisin aurait fait pour me laisser un pli ou un paquet, un emballage de carton dont je comprends tout de suite qu’il s’agit de ma dernière commande du disque 33 tours 1/3, Push the sky away , de Nick Cave que j’ai fini, de fait, par commander, pour donner une vraie chance à ce disque d’être écouté autrement qu’au travers de je ne sais quel site de partage de vidéos, au travers duquel, certes, on se fait une petite idée de ce ont le disque parle, mais nettement moins de sa production, de sa qualité sonore, d’autant qui invariablement l’écoute du disque en soi devient une tâche de fond entièrement recouverte par tout à fait autre chose.

    Et j’ai bien du plaisir à découvrir sa pochette, qui est une image assez belle, sans doute pas ce qu’il y a de plus progressiste pour ce qui est de décrire les rapports érotiques entre hommes et femmes, mais néanmoins un très remarquable contrejour en noir et blanc, de l’argentique comme on n’en fait plus, avec traces de rayures et de poussières dans le fond, et du coup cette image n’est plus cette vignette sur un écran d’ordinateur mais une image imprimée de trente centimètres par trente centimètres. Mais j’ai plus de plaisir encore à découvrir que mon intuition était fondée, ce disque a une sonorité extraordinaire, une profondeur étonnante dans les graves et quelques ajouts discrets, ici une note de vibraphone, là un grattement de corde de guitare électrique, qui en font un de ces disques qui restent quelques temps sur la platine, quand un jour, par quel hasard ou détermination difficiles à décrire, on sort ce disque, justement, d’une pile d’autres disques, que l’on pourrait tout aussi bien choisir aussi, et qu’on l’écoute plusieurs fois d’affilée, qu’on le retourne et le retourne encore, c’est l’une des différences entre les disques vinyles et les disques compacts, quand on sort un disque vinyle de sa pochette, c’est pour l’écouter plusieurs fois et bien souvent, reconnaître chacun de ses craquements à hauteur presque égale d’attention de la musique en elle-même.

    Du coup je mets à profit la petite heure et demie de libre devant moi, avant le retour des enfants de leurs différents établissements scolaire ou médico-social, pour m’appuyer un peu de rangement et de ménage, tout en écoutant ce disque récent de Nick Cave, qui, lui, ne doit pas faire le ménage souvent, et, quand Madeleine rentre la première, elle constate avec plaisir une certaine métamorphose de notre logement, mais désapprouve, entièrement, le niveau sonore auquel je passe cette nouvelle galette tout juste reçue de la poste ― ou de je ne sais quelle entreprise de livraison dont il ne fait pas bon croiser les camionnettes trop rapides sur les routes sinueuses et trop étroites des Cévennes, et sur ce sujet, je suis content de constater que X. , le texte que je voudrais écrire à propos de l’incident survenu cet été a enfin trouvé sa forme narrative, pas sûr que je tienne jusqu’au bout cette gageure, mais au moins quelque chose se dessine, un tableau, et c’est amusant pour moi de voir que c’est littéralement ne mettant le point final à Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) que j’ai entamé le récit de X.

    Hésitations sans fin : dois-je, ou ne dois-je surtout pas, entamer avec ce texte de Qui ça ? , une expérience sur internet, une sorte de site dans le site comme finalement les si nombreux sous sites internet que comprend le Désordre et quelle forme donner à cette affaire, un mélange entre le Bloc-notes du Désordre , ou une forme Ursula , ou même comme je faisais avec Contre . Et est-ce que ce ne serait pas intéressant de laisser en suspens la clef de ces récits mis bout à bout et laisser aux lecteurs deviner quel nerf soutient cet effort d’écriture, peut-être pas au jour le jour, mais inscrit dans le quotidien malgré tout. Donnons-nous un peu de temps. Attendons de ne plus avoir à travailler sur Apnées le spectacle avec Dominique et Michele, d’avancer un peu dans le projet de la Petite fille qui sautait sur les genoux de Céline , d’autant que les premières réponses à mes demandes de conseils auprès de professionnels du cinéma, me laisse entrevoir qu’il y a au-devant de moi, au-devant de ce projet, un véritable Everest de travail. Et gardons Qui ça ? comme une récréation.

    Je me demande si je n’ai pas fini par guérir de ce qui aura été un début de dépression nerveuse, peut-être pas sans racine et sans cause à chercher du côté des attentats du 13 novembre dernier. Ou, est-ce tout le contraire, une dépression aigue que je soigne à l’aide du pire des anti-dépresseurs, du pire des mauvais calmants, le travail.

    #qui_ca