RastaPopoulos

Développeur non-durable.

  • Entretien sur le Brésil avec Anselm Jappe (MD18, juillet 2016)
    http://www.palim-psao.fr/2016/09/entretien-sur-le-bresil-avec-anselm-jappe-md18-juillet-2016.html

    Oui, cette chute était prévisible, parce que l’économie globale néo-libérale ne se base plus sur la seule source véritable de « rentabilité » au sens capitaliste qui est la transformation de travail vivant en valeur et son accumulation. Depuis que le remplacement du travail vivant par les technologies – qui ne créent pas de valeur économique – avait dépassé un certain seuil, autour des années 1970, l’économie mondiale ne faisait que simuler la croissance avec un recours toujours plus massif au crédit et à toutes les formes de capital fictif (bourses, valeurs immobilières, etc.). La crise de 2008 n’a été que le début de l’écroulement des valeurs irréelles créées par la finance, et rien d’autre n’est venu depuis lors pour relancer durablement l’économie mondiale – que des crédits et encore des crédits.

    Il était également prévisible que le déplacement de l’accumulation globale depuis les centres – imaginés comme vieux et fatigués – vers la périphérie – imaginée comme fraîche et plein de jeunesse – n’aurait pas lieu. Le capitalisme n’est pas une « recette » qui, si elle est « correctement appliquée », donne partout les mêmes résultats. Le capitalisme se base depuis le début sur le caractère « non-contemporain » des différentes économies et sur une « division des tâches », qui profite entièrement aux pays qui ont un niveau de productivité plus élevé – et ceux-là ont été fatalement toujours les mêmes, ceux qui ont su maintenir leur avantage initial (qui remonte au XIX siècle). La globalisation, à partir des années 1970, a détruit les dernières possibilités d’instaurer des économies nationales ou régionales, que ce soit en Union soviétique ou dans le cadre d’un « développementalisme ». Désormais, la seule intégration possible au marché mondial passait par la voie des exportations – le Brésil et la Russie l’ont fait avec les matières premières, la Chine avec des biens manufacturés que les Américains pouvaient pratiquement acheter gratuitement, grâce au rôle du dollar comme « monnaie mondiale ». Dans ce système, il y a donc nécessairement toujours des pays « arriérés » qui doivent vendre à bas prix soit leurs ressources, soit leur force de travail aux pays plus « productifs ». On peut, évidemment, combattre une telle inégalité mondiale – mais il faut alors combattre le système capitaliste tel quel. A partir du moment où on a accepté le capitalisme comme horizon indépassable, on a aussi accepté, qu’on le veuille ou non, le fait qu’il y a des gagnants et des perdants. Les politiques plus ou moins sages des gouvernements en charge ne peuvent y changer que des détails – on le voit tous les jours.

    […]

    Oui, voilà. Et pourquoi les vieux bourgeois soupiraient-ils en face de cela ? Ils n’avaient rien perdu de leurs biens matériels, mais ils pouvaient plus difficilement éprouver la jouissance abjecte de voir qu’on leur cire les chaussures. On voit que des questions d’ « identité » peuvent compter aussi fortement que les questions matérielles. Partout dans le monde, la crise a ressuscité les pires réflexes du passé, et surtout le racisme, l’antisémitisme et le mépris du pauvre. Et au Brésil, ce sont les attitudes héritées d’une société esclavagiste qui ont refait surface. Ce n’était pas le coût (assez modéré) de la bolsa-familia qui scandalisait, mais l’idée même que le pauvre puisse avoir des droits.

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