Anselm Jappe est assez abordable Ă©galement. Jâavais lu « CrĂ©dit Ă mort » et, en parcourant le Net, je viens de trouver une sorte dâexĂ©gĂšse de lâopus de Jappe par un certain ClĂ©ment Homs auteur dans la revue « Variations »
â»https://variations.revues.org/107
oĂč voici ce quâil Ă©crit :
Le livre Ă©tant sous-titrĂ© « la dĂ©composition du capitalisme et ses critiques », ces derniĂšres sont vivement prises Ă parti dans les divers articles afin de dĂ©gager ce qui paraĂźt valable chez elles et ce qui leur Ă©chappe pour saisir la rĂ©alitĂ© de la crise contemporaine du capitalisme. Car pour lâauteur, plusieurs de ces critiques ont trop longtemps pensĂ© que le caractĂšre capitaliste de la production apparaissait extĂ©rieurement au procĂšs de travail, travail qui en lui-mĂȘme dâaprĂšs ces thĂ©orisations devait ĂȘtre complĂštement naturalisĂ© en tant que crĂ©ateur « en soi » de toute richesse et comme simple activitĂ© instrumentale, comme si le travail Ă©tait en quelque sorte lâessence gĂ©nĂ©rique de lâhomme captĂ©e extĂ©rieurement par le capital. Comme lâa montrĂ© Postone, le capitalisme est ainsi dĂ©fini par le « marxisme ricardien » (selon lâexpression de Hans-Georg Backhaus2) comme un mode de distribution critiquĂ© « du point de vue du travail ». Autrement dit, le marxisme traditionnel a considĂ©rĂ© la notion de travail mobilisĂ©e par Marx comme la forme transhistorique du mĂ©tabolisme avec la nature alors que lâanalyse que le Marx de la maturitĂ© fait du travail concerne le travail sous le capitalisme. Ces visions du « marxisme traditionnel » ont alors mis seulement au centre de leur rĂ©flexion la thĂ©orie de lâexploitation du surtravail et celle de lâappropriation privĂ©e du surproduit social par la classe capitaliste, proposant pour seule critique du capitalisme, un changement du mode de distribution de la valeur qui se voit de par la naturalisation de son contenu â le travail â complĂštement acceptĂ©e3. Ă propos des luttes contre les licenciements (comme pour les « rĂ©cupĂ©rations » dâusine) ou des gens inquiets de perdre leur travail, Jappe estime ainsi, Ă rebours de la gauche, que leur colĂšre « nâa rien dâĂ©mancipateur en tant que tel ». Câest que pour les thurifĂ©raires du capitalisme comme pour sa critique marxiste (critique qui est restĂ©e immanente aux formes sociales capitalistes),
4 Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël, 200 (...)
« la marchandise, lâargent, et la valeur sont des choses qui ââ vont de soi ââ et quâon trouve dans presque toutes les formes connues de vie sociale Ă partir de la PrĂ©histoire. Les mettre en discussion semble aussi peu sensĂ© que contester la force de gravitation. Une discussion nâest plus possible que pour ce qui regarde le capital et la plus-value, les investissements et les salaires, les prix et les classes, donc lorsquâil sâagit de dĂ©terminer la distribution de ces catĂ©gories universelles qui rĂšglent les Ă©changes entre les hommes. Câest lĂ le terrain oĂč peuvent se manifester les diffĂ©rentes conceptions thĂ©oriques et sociales4 ».
5 Groupe Krisis, Manifeste contre le travail, UGE, 10/18, 2001 (1999).
3Ă lâinverse de ces visions, la critique de la valeur et du fĂ©tichisme de la marchandise soutient que le capitalisme doit ĂȘtre saisi par une analyse plus profonde, en tant que forme particuliĂšre et inĂ©dite de vie et de socialisation, comme forme radicalement diffĂ©rente de mĂ©diation sociale constituĂ©e par le travail sous le capitalisme, un travail qui nâa rien dâune essence sociale transhistorique (dâoĂč le Manifeste contre le travail du groupe Krisis auquel Jappe a appartenu5). Lâauteur Ă©gratigne ainsi Ă plusieurs reprises les thĂ©oriciens les plus connus de cette gauche radicale, altermondialiste ou marxiste. Negri, Badiou, Zizek ou lâInsurrection qui vient en prennent chacun Ă leur tour pour leur grade et le chapitre consacrĂ© Ă la violence politique est une mise en garde sans dĂ©tour Ă Julien Coupat et ses amis :
« si la guerre civile â la vraie â Ă©clatait, il ne serait pas difficile dâimaginer qui seraient les premiers Ă se trouver rĂ©veillĂ©s en pleine nuit et collĂ©s au mur sans façon, tandis quâon viole les femmes et quâon tire sur les enfants⊠» (p. 90).
6 « Dâun cĂŽtĂ© note Postone, câest un type de travail spĂ©cifique qui produit des biens particuliers po (...)
7 Voir la critique que fait A. Jappe Ă A. Sohn-Rethel, dans sa prĂ©face au recueil dâarticles de ce de (...)
4Quelle est alors la spĂ©cificitĂ© de cette saisie des bases sociales de la production capitaliste dont Anselm Jappe se rĂ©clame ? Prenons seulement un angle prĂ©cis. Dans la sociĂ©tĂ© dĂ©terminĂ©e par la marchandise, câest-Ă -dire sous le capitalisme, le travail quel quâil soit, a toujours une double face avait-il montrĂ© dans son livre prĂ©cĂ©dent. Ă premiĂšre vue, le travail semble ĂȘtre seulement concret, et dĂ©termine la face dâusage dâune marchandise. Mais il possĂšde aussi une autre face de par sa situation, une face abstraite, qui dĂ©rive de la fonction socialement mĂ©diatisante que possĂšde le travail6. Câest lĂ un caractĂšre social historiquement spĂ©cifique du travail sous le capitalisme. Cette face abstraite de tout travail (qui est appelĂ©e le « travail abstrait ») est comme un « objet fantomatique » (R. Kurz), câest-Ă -dire invisible, mais constitue pour autant lâessence sociale de la sociĂ©tĂ© capitaliste-marchande car il y opĂšre sa « synthĂšse sociale ». Câest cette face abstraite â socialement mĂ©diatisante â du travail qui va ĂȘtre le contenu de la valeur et donc du capital (de la valeur qui se valorise au travers dâun processus social de dĂ©pense tautologique du travail). Ce nâest pas lâobjectivation de la dĂ©pense de travail en soi qui constitue la valeur. La valeur est plutĂŽt lâobjectivation de cette fonction sociale particuliĂšre du travail sous le capitalisme. La substance sociale de la valeur, qui est donc aussi lâessence dĂ©terminante de la sociĂ©tĂ© capitaliste, est donc le travail dans sa fonction historiquement dĂ©terminĂ©e dâactivitĂ© socialement mĂ©diatisante. La valeur est alors forme temporellement dĂ©terminĂ©e de richesse sociale et de mĂ©diation sociale objectivĂ©e, propre Ă la seule formation sociale capitaliste oĂč les rapports sociaux sont constituĂ©s pour la premiĂšre fois par le travail. Câest alors le travail â et non pas la sĂ©paration entre lâacte dâusage et lâacte dâĂ©change comme le pensait encore Alfred Sohn-Rethel7 â qui rend possible quâune abstraction rĂ©elle conduise la sociĂ©tĂ©. Ici la valeur nâest plus une catĂ©gorie transhistorique comme dans sa comprĂ©hension par le « marxisme ricardien ». Avant mĂȘme de critiquer la distribution de la valeur et la formation de la survaleur, une critique anticapitaliste doit saisir selon lui que derriĂšre la valeur se cache dĂ©jĂ un rapport social de production particulier, que lâon doit comprendre comme un lien social objectivĂ©, une forme de vie sociale historiquement inĂ©dite car propre Ă lâinterdĂ©pendance sociale sous le capitalisme constituĂ©e par le travail. Critiquer ainsi le capitalisme au niveau de ses structures profondes, câest donc dâabord critiquer cette forme sociale, la valeur.
on pourra aussi télécharger le PDF pour lire tout ça peinard ...
Excuse-moi dâavoir Ă©tĂ© long (et peut-ĂȘtre ennuyeux) mais ce nâest pas un sujet facile Ă digĂ©rer ... :)