• Anne-Marie Houdebine était une vraie vivante - Féministes en tous genres
    http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2016/10/20/anne-marie-houdebine-592571.html

    C’est avec une très grande tristesse que nous annonçons le décès brutal d’Anne-Marie Houdebine, linguiste, sémiologue, professeure émérite à l’université Paris-Descartes, féministe et psychanalyste.

    Ce décès est terriblement injuste, plus injuste que ne l’est en lui-même tout décès. Car Anne-Marie Houdebine était, non pas une bonne vivante, non – elle avait trop d’attachement à penser juste, trop de sérieux éthique et trop de conscience politique pour cela –, mais une grande, une vraie vivante. Aussi demeure-t-elle obstinément présente pour celles et ceux qui ont noué avec elle des liens d’amitié.

    Anne-Marie avait résolument pris le parti de la vie. Sans se leurrer. Elle avait trop lu et trop travaillé sur la violence, sur l’irréparable, et sur la Shoah en particulier, pour cela. Sa tenace volonté, son ancrage dans le présent et la fermeté de son engagement à le penser et à y œuvrer la maintenaient à ce point du côté de la vie qu’elle semblait insubmersible. Notre leurre, non pas le sien.

    Sa mort est survenue alors que « Féministes en tous genres » était en train de publier un entretien avec elle, fruit de nombreuses conversations et échanges écrits au cours de l’année 2015-2016. La publication de cet entretien entre Anne-Marie Houdebine et Sylvia Duverger se poursuivra dans les semaines à venir, conformément à ce qui avait été convenu.

    Anne-Marie Houdebine nous a quitté.es alors qu’elle s’apprêtait à partir pour un colloque à Chisinau, en Moldavie, colloque dont elle était l’invitée d’honneur. Elle venait de rédiger l’intervention qu’elle devait y faire et en préparait une autre sur « Les filiations linguistiques de la sémiologie (Saussure, Buyssens, Martinet, Prieto, Hjelmslev, Eco, etc.) » pour le colloque de la Société internationale de linguistique fonctionnelle (SILF), qui se tient à La Rochelle du 17 au 21 octobre 2016. À peine terminée la rédaction d’un rapport de thèse, elle en commençait une autre, et ces derniers temps, bien que fatiguée, elle ne se ménageait pas davantage qu’auparavant lorsqu’il s’agissait de donner de son temps, de son énergie, de sa sagacité à des étudiant.es – à des étudiantes surtout. Car elle avait éprouvé combien il est plus malaisé de faire son chemin lorsque l’on est une femme, qui plus lorsque l’on s’assume féministe. Sur sa générosité avec ses étudiant.es et sur son aptitude à (r)éveiller le désir de savoir et de comprendre d’une façon consciemment engagée, nous renvoyons au beau texte qu’elles ont inspiré à Cécile Canut, aujourd’hui professeure à son tour à l’université Paris-Descartes.

    En décembre 2016, elle devait présenter, au séminaire de recherche de l’Institut Émilie-du-Châtelet (IEC), le dernier livre paru de son vivant auquel elle ait collaboré, L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation » (éditions iXe), avec d’autant plus d’intérêt pour nous qu’elle avait été l’inspiratrice et la linguiste en cheffe de la commission de terminologie chargée en 1984 de ce dossier par Yvette Roudy. Les travaux de cette commission présidée par Benoîte Groult, dont elle saluait ici même l’intrépidité, avaient suscité une déferlante sexiste qui, trente ans plus tard, l’étonnait encore.