• Lilian Thuram : « A l’école, on m’appelait “La Noiraude” »
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    Quand débute votre intérêt pour les questions de discrimination et de racisme ?

    C’est l’histoire de la noiraude, à l’école à Bois-Colombes. Très tôt, vous comprenez qu’être noir, c’est être vu inférieurement. Les personnes non blanches comprennent très rapidement dans quelle société elles vivent. Ma mère me disait : « C’est comme ça mon chéri, les gens sont racistes, ça ne va pas changer. » C’est une très mauvaise réponse pour un enfant de 9 ans. Je voulais comprendre qu’est-ce que le racisme, d’où il vient, comment il se construit.

    Après, ce sont des lectures. Quand j’étais jeune joueur à l’AS Monaco, je lisais des livres sur l’histoire de l’esclavage. Je suis tombé sur le Code noir, texte essentiel pour comprendre la relation entre les gens selon leur couleur de peau. Ce code construit et entérine la domination des personnes de couleur blanche sur celles de couleur noire. Plus tard, j’ai rencontré Alain Anselin, puis Aimé Césaire : ces rencontres m’ont enrichi et interpellé.

    Vous citez souvent l’anthropologue et féministe Françoise Héritier. Pourquoi ?

    « L’inégalité des sexes est la matrice de tous les autres régimes d’inégalité. » En me questionnant sur la couleur de peau, j’ai découvert que la problématique de domination culturelle était la même avec les femmes. Et c’est pareil avec l’homophobie. Tout est une question d’éducation.

    En 1998, la victoire de la France à la coupe du monde de football fait naître le slogan « black, blanc, beur ». Cet espoir d’une France multiculturelle réconciliée a été très fugace…

    Je ne suis pas d’accord. C’est quelque chose d’inscrit dans l’inconscient collectif. Il y a moins de racisme aujourd’hui qu’avant. Prenons l’exemple de ma famille sur une période longue : mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l’abolition de l’esclavage en France, ma mère en 1947, il y avait la colonisation, moi en 1972, il y avait la ségrégation en Afrique du Sud. La domination des personnes blanches n’est plus écrite dans les lois comme à l’époque de mon grand-père ou de ma maman. Nous vivons dans une société de plus en plus égalitaire, mais il y a encore des gens réfractaires à cette égalité qui, actuellement, le disent ouvertement. Il faut avoir le courage de leur répondre. Ceux qui tiennent un discours positif doivent se faire entendre davantage dans l’espace public.

    Comme lorsque vous répondez à Jean-Marie Le Pen qui considère qu’il y a trop de « joueurs de couleur » au sein de l’équipe de France ?

    Bien sûr. Il faut répondre. Le racisme est un positionnement culturel et politique. Regardez : Trump parle aux personnes blanches ; Marine Le Pen, Sarkozy avec les ancêtres les Gaulois, parlent aux mêmes personnes. Ils veulent réveiller le sentiment qu’être blanc, c’est passer avant. Quand, dans un stade, des gens me faisaient « Ouh ! Ouh ! », ils disaient : moi je suis blanc, je suis mieux que toi qui es noir.

    Pourquoi le phénomène Zemmour existe ? Parce qu’il est blanc et que les gens qui le font travailler le sont aussi, réfléchissent en tant que blancs, comme des dominants. Sinon, on ne le laisserait pas faire. Le racisme, c’est une inégalité de traitement : vous ne trouverez jamais un Noir, un Maghrébin ou un Asiatique qui pourrait venir à la télévision tenir un discours méprisant les personnes blanches. Il serait, à juste titre, écarté parce qu’en face, les personnes blanches se sentiraient attaquées et ne le supporteraient pas.

    Comment est venue l’idée de créer une fondation pour « l’éducation contre le racisme », qui porte votre nom ?

    J’ai lancé la fondation quand j’étais joueur à Barcelone. J’ai été invité chez le consul de France. A côté de moi, à table, un monsieur, qui était directeur de l’agence de publicité DDB, me dit : « Alors, qu’est-ce que vous allez faire quand vous serez plus grand ? » Cela m’a fait sourire. Je lui ai donné une réponse d’enfant : « Quand je serai plus grand, j’aimerais changer le monde. » On commence la discussion et je lui explique que je souhaiterais aller dans les écoles pour expliquer aux enfants qu’on ne naît pas raciste, mais qu’on le devient parce que cela est ancré dans nos cultures. A la fin du repas, il me dit : « Je suis plus vieux que vous, sachez que le monde, on ne le change pas. » Quelques semaines après, ce monsieur m’appelle, me parle de ses préjugés et me dit : « Vous avez déjà changé une personne. Vous devriez faire une fondation. » C’est comme cela que c’est parti. Je me sers de ma notoriété pour essayer de construire, avec beaucoup d’autres, l’égalité.

    Nicolas Sarkozy vous avait proposé il y a quelques années un poste de ministre de la diversité. La politique, ça vous tente ?

    Non. Et un ministère de la diversité, n’est-ce pas en réalité un ministère pour les non-blancs ? J’ai le sentiment que certains politiques sont comme dans une télé-réalité. Ce ne sont pas eux qui donnent la direction, ils s’adaptent à l’air du temps. Sur la question du racisme et des discriminations, il manque quelqu’un de courageux, un discours clair sur ce que sera la France dans trente ans. Débattre sur les burkinis, cela va nous emmener où ? Ce n’est pas sérieux.

    #racisme #sexisme #homophobie #discrimination