• Le désir d’Annibal

    « J’avais suivi les traces d’Annibal : il ne m’avait pas été donné de voir Rome : lui aussi était allé en Campanie alors qu’on l’attendait à Rome. Annibal, avec qui je me trouvais cette ressemblance, avait été le héros favori de mes années de lycée ; quand nous avions étudié les guerres puniques, ma sympathie, comme celle de beaucoup de garçons de cet âge, était allée non aux Romains, mais au Carthaginois. Dans les classes supérieures, quand je compris quelles conséquences auraient pour moi le fait d’être de race étrangère et quand les tendances antisémites de mes camarades m’obligèrent à prendre une position nette, j’eus une idée plus haute encore de ce grand guerrier sémite. Annibal et Rome symbolisèrent à mes yeux d’adolescent la ténacité juive et l’organisation catholique. La signification qu’a prise depuis, dans nos esprits, le mouvement antisémite a contribué à fixer les pensées et les sentiments de cette époque. Ainsi le souhait d’aller à Rome est devenu dans la vie du rêve le voile et symbole de plusieurs autres souhaits très ardents, à la réalisation desquels il faut travailler avec la constance et l’obstination du Carthaginois et dont l’accomplissement paraît être aussi peu favorisé par la destinée que le fut le désir d’Annibal. »

    [ S. Freud , L’interprétation du rêve ]