L’État du Massachusetts compte parmi les plus prospères des États-Unis. D’après le Bureau des statistiques, pourtant, 23% des habitants de Fall River vivent sous le seuil officiel de pauvreté, soit près du double de la moyenne américaine. Le taux de chômage y oscillait entre 6 et 9% cette année. Le salaire médian y est deux fois inférieur à celui du Massachusetts. L’épidémie d’héroïne qui ravage le pays y a fait 44 morts l’année dernière.
Chez le prêteur sur gages de Main Street, trois photographies du vieux Fall River. Les années 1930 et 1945. On peut y voir les rues débordant de passants, les routes emplies de voitures, les enseignes crépitantes des magasins. La ville comptait une centaine de filatures de coton à la fin du XIXe siècle. C’était alors l’un des principaux centres manufacturiers des États-Unis. « Les filatures ont commencé à déserter au sud après la crise de 29, dit Marc, un journaliste au canard local. Puis les années 1970 ont achevé son déclin. Les emplois partaient en Chine, au Mexique, au Bangladesh. L’Alena [accord de libre-échange nord-américain ratifié par Bill Clinton, ndlr] a été un désastre, surtout pour les ouvriers à bas salaires. » Fall River est tout de même restée fidèle aux démocrates. En 70 ans, pas un seul maire républicain n’y a été élu.
La même hégémonie démocrate régente le Massachusetts. Pour ses autres villes ouvrières comme Lowell et Worcester, c’est là un choix malheureux. Façonné par la crise de 29 et l’appui des syndicats, le parti du New Deal s’est éloigné de son électorat ouvrier au tournant des années 1970, lui préférant la nouvelle classe moyenne de « l’économie du savoir. » À l’État-providence, les Nouveaux Démocrates ont substitué la gouvernance des « experts » et l’idéologie de la « méritocratie » qui prescrit davantage d’éducation pour tous les maux. C’était l’avènement du « ni de gauche ni de droite » et des sacrifices inévitables de « l’économie globalisée. » La mue néolibérale de Bill Clinton consista à tirer le coup d’envoi de la fuite des emplois non-qualifiés vers le Mexique (avec l’Alena), à durcir la répression pénale et à tailler dans l’assistance publique.