Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • J – 179 : Les frères Dardenne sont des pervers.

    Cela fait des années qu’ils suivent obstinément des jeunes femmes, plutôt jolies d’ailleurs, caméra à l’épaule, jeunes femmes, personnages féminins, qui sont de tous les plans de Rosetta (Emilie Duquesnes), le Silence de Lorna (Arta Dobroshi), le Gamin au vélo (Cécile de France), Deux jours et une nuit (Marion Cotillard) et enfin la Fille inconnue (Adèle Haenel), on verra pour les suivants, — profitant, sournoisement, du petit verre sympathique post rencontre au Kosmos suite à la projection de la Fille inconnue , j’ai abusé de la situation pour leur glisser le nom de deux actrices que j’aime bien, Amira Casar et Vimala Pons, des fois que cela leur donne des idées, n’empêche Amira Casar faisant l’accent liégeois dans un film des frères Dardenne, cela aurait de la gueule, pour Vimala Pons ma fascination est toute récente, alors je ne sais pas encore, je visualise pas encore très bien, encore que pour Vimala Pons, je pense qu’elle ferait un très bon duo avec Jérémie Régnier, une autre constante des Dardenne Bros , des personnages masculins troubles, interprétés invariablement par Olivier Gourmet (qui pourrait cumuler dans le même film, son talent n’a pas de limite, d’être à la fois l’amant attentionné d’Amira Casar et le père abusif de Vimala Pons), Jérémie Régnier ou encore Fabrizio Rongione (qui lui ferait un duo impeccable avec Amira Casar) qui poursuivent, de surcroît, de leurs assiduités des personnages féminins qui ont déjà fort à faire pour se soustraire de la poursuite opiniâtre de la caméra. En revanche, passé les hauts de cœur que nécessairement provoque une telle perversion harcelante de ces jeunes comédiennes, on est obligé de se rendre compte, cette fois encore, qu’on peut raconter bien des récits, et une grande variété de ces récits, avec cette forme un peu particulière de cinéma harcelant de ses jeunes comédiennes. J’ai l’air de dire cela en rigolant — un peu quand même — mais chères Amira et Vimala, lorsque que vous allez bientôt recevoir, suite à mon insistance l’autre soir au Kosmos , les propositions de rôles des Dardenne, faudra être en forme, vous serez de tous les plans et tout le film reposera sur vos épaules — et d’ailleurs ils sont où les autres cinéastes contemporains qui misent pareillement tout sur leurs personnages féminins ?

    Et c’est quand même extraordinaire ce qu’ils arrivent à dire avec cette seule forme, ce qu’ils arrivent à dire du contrat social contemporain, de sa déliquescence, de la justice et de l’injustice, de la culpabilité et de la part de soi qui construit cette culpabilité, de la détermination de chacun, de son libre arbitre et des choix que l’on fait, de ce que c’est le vivre-ensemble et ce que cela suppose de renoncements, d’efforts mais aussi de pertes et de ce qu’on y gagne aussi, au-delà de la nécessité, de la différence aussi, c’est un vrai cours de philosophie en fait, sans avoir d’ailleurs à beaucoup apprendre la leçon, la leçon est tellement magistrale qu’elle agit quasiment à nos dépens, ce serait dangereux si cette leçon n’était pas profondément humaine et humaniste.

    Il y a décidément dans l’écriture des frères Dardenne une dramatique admirable dont la toile de fond, en plus de cette forme un peu particulière dans son point de vue harcelant du personnage principal, est constante, les faubourgs de Liège, dont, quand les frères Dardenne auront achevé leur carrière, le plus tard possible, leurs spectateurs disposerons d’une radiographie parfaite de cet environnement, les usines, ses marges, la pègre locale, les tribunaux, le salon de coiffure, l’orphelinat, la grande distribution et les grands ensembles qui accueillent les employés, le cabinet du médecin, le commissariat de police, et au-delà de cet environnement, les personnes qui le peuplent, tous irréductibles, aucun que l’on pourrait mettre de côté impunément, même pas une réfugiée condamnée à la prostitution, et dont personne ne connait l’identité, tous comptent, et d’une force, cette force qui est propre aux frères Dardenne qui ne néglige personne, chaque personnage fouillé, parfaitement justifié. Etonnant de voir à quel point une somme, un corpus, de fictions, finit par constituer une œuvre quasi documentaire, historique presque, ce qui n’est pas rien pour une œuvre de fiction.

    Exercice #28 de Henry Carroll : Ajoutez une photographie à la série les Américains de Robert Frank (sic)

    Ce n’est pas tellement le choix d’une telle image qui serait difficile à faire, j’ai, en effet, le sentiment que presque toutes les photographies que j’ai prises aux Etats-Unis répondent à cet exercice, j’imagine que la vraie difficulté ce serait de trouver à quel endroit de la séquence des Américains on peut intercaler de telles images.

    #qui_ca