Vanderling

La conversation n’est féconde qu’entre esprits attachés à consolider leurs perplexités.

  • Trump-Clinton : produits de notre civilisation

    Quel enseignement principal tirer de la victoire de Trump aux élections américaines ? Que c’est là la catastrophe que personne n’avait vu arriver, le triomphe de « Trump le populiste, le machiste, le menteur, le provocateur, l’homme qui insulte et divise une bonne partie de l’Amérique » (Le Soir, éditorial, 10 novembre 2016) ? N’y-a-t-il pas plutôt des leçons à tirer de ce qu’on ne dit pas, et que toutes ces offuscations feintes visent à occulter ?

    À savoir :
    Que les deux candidats étaient peu ou prou les « mêmes », aucun d’eux n’étant porteur d’un autre projet de civilisation ;

    Que l’élection est le fruit d’un vote "démocratique" de systèmes qui ont dévolu la gestion de la cité aux forces économiques et financières, où une minorité décide pour la majorité et où le choix de la masse n’en est pas un – sans parler d’un taux d’abstention flirtant avec les 50% ;

    Découlant du point précédent, que les #élections_aux_USA sont, plus qu’ailleurs, un show distrayant le peuple des questions essentielles qui devraient les occuper ;

    Qu’on a monté en épingle les dérives langagières, xénophobes ou sexistes de Donald Trump, mais que c’était là de loin le moins grave des problèmes. Trump le « menteur », « sexiste », « provocateur »… n’a que peu d’importance à côté de Trump le milliardaire magnat de l’immobilier. Mais cela, on ne l’a que peu entendu ;

    On tait la richesse car, tout simplement, si Trump gagne aujourd’hui, ce n’est que la suite logique d’une politique qui a favorisé les classes nanties, a engagé des dépenses énormes dans l’ingérence étrangère, dont nous vivons les effets aujourd’hui. Les politiques préfèrent les sophismes de la « lutte contre la pauvreté », comme si celle-ci n’était pas liée à la richesse et à son pouvoir d’attraction... ;

    L’"erreur" qu’on cherche à identifier dans le choix des électeurs n’est que le résultat d’un système socio-économique d’une violence inouïe, élevant les inégalités à un point jamais atteint, où les écarts de salaire peuvent aller de 1 à 1000 ! ;

    Ne pas nommer le véritable problème, ne pourra mener qu’à la recherche par une partie des laissez-pour-compte de la mondialisation, d’un exutoire, d’un "coupable idéal" qui, au grand plaisir des 1% des plus riches, les écartera de la révolte contre ces derniers et les politiques qui les font exister.

    Parfois, comme pris par un excès de lucidité, feinte ou en tous cas permise par la situation, certains journalistes arrivent à comprendre que « les experts, l’establishment et les journalistes – nous compris – feraient mieux de se demander comment ils peuvent être aussi déconnectés de la majorité des citoyens et pourquoi leurs messages ne touchent plus le public » (Le Soir, idem). Mais ce n’est que temporaire, car la question essentielle, celle de l’inégalité produite par un système sans limites où le désir d’avoir toujours plus fonctionne comme moteur, ne sera pas posée par les médias de masse, ceux-là mêmes qui se gargarisent du show électoral américain cher aux annonceurs, et ne sont pas prêts à remettre en question la propriété de leur média.

    La déception d’un certain nombre de personnes le matin des résultats, qui ont ingurgité pendant plus d’un an la propagande médiatique, a donc quelque chose de profondément déplorable et catastrophique, car cela laisse penser que la victoire d’Hillary Clinton, laquelle a encouragé les guerres en Yougoslavie, Irak, Lybie, Syrie notamment, aurait été une victoire de la démocratie. Pourtant, pas plus elle que Trump ne signe le triomphe de la justice. Comment peut-on encore croire en un système politique tout à fait sclérosé où l’indécence règne en maître ?

    Quelle naïveté d’encore croire qu’un président, ou l’autre, était autre chose qu’un fantoche aux mains des multinationales, de l’industrie guerrière et des mastodontes de la finance, "C’est à la classe des super-riches qu’appartient le nouveau président #Trump (1). Ce sont eux qui commandent, pas la maison blanche...Et en refusant son salaire de président de 400000 dollars par an, Trump réalise une supercherie démagogique formidable qui laisserait croire que sa fortune estimée à 3,7 milliards serait due à son mérite, de même que son accession au trône présidentiel. Au fond, à 3,7 milliards de patrimoine ou 40 000 euros par mois, les uns ou les autres sont les symboles d’une seule et même chose : un capitalisme débridé où ceux au pouvoir, minorité nantie, n’ont cure de la majorité qui crève.

    Est-ce Trump qui « divise l’Amérique », où Trump n’est-il que le produit d’un système ségrégationniste qui crée des richesses extrêmes, minoritaires, et de la misère, de plus en plus répandue ?

    Nous sommes toujours ancrés dans un présent comme en perpétuel mouvement vers un futur qui nous empêche de tirer des enseignements du passé, comme si nous étions toujours plus modernes et que les « accidents » d’hier n’étaient plus en train de se produire aujourd’hui. Or, dans quelques années, nous reconnaîtrons ce que nous refusons de voir maintenant, mais nous le reconnaîtrons seulement sous la forme de l’accident, comme quelque chose qui n’aurait pas dû se passer. Pourtant, ce qui a lieu maintenant est loin d’être inattendu. Ce n’est que la continuation logique du même. Et donc du pire.

    Alexandre Penasse

    (1) Édition de mardi 15 novembre 2016 de il manifesto,
    http://ilmanifesto.info/lalternanza-del-potere-imperiale
    Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

    Source : Kairos http://www.kairospresse.be