Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • J – 169 : Comme de très nombreuses personnes, et certaines nettement plus cinéphiles que moi, je n’avais jamais vu Kapo de Gilo Pontecorvo, en dehors du court extrait du fameux travelling qui a donc déclenché l’ire de Jacques Rivette dans un texte devenu célèbre des Cahiers du cinéma . Le travelling je l’avais déjà vu plusieurs fois, je me l’étais repassé plusieurs fois sur des sites de partage de fichiers vidéographiques - je crois que l’on appelle cela des tubes - et d’ailleurs la première fois je m’étais dit que la foudre de Rivette avait peut-être été disproportionnée, la description du travelling en question avait fait germer dans mon imagination des images nettement plus outrées encore. Quand bien même, je me disais qu’il y avait chez Rivette une certaine acuité visuelle et critique pour avoir été aussi réactif à quelque chose qui ne saute pas aux yeux, je me disais même qu’avec des sentinelles aussi attentives, nous, les lecteurs des Cahiers , pouvions dormir les yeux fermés sur l’oreiller.

    Mon insistance toute personnelle, mentionnant la fameux travelling et sa critique, dans mon texte Arthrose (Spaghetti), d’en obtenir l’extrait pour l’insérer dans mon projet interactif, m’aura donc poussé à trouver une copie de ce film.

    Et du coup à la regarder.

    Et j’ai été effaré.

    En fait le travelling , le fameux travelling , est ce qu’il y a de plus anodin, de presque moins fautif dans ce film qui est une horreur, une abomination.

    Le film date de 1961. De même sa critique par Rivette.

    En 1961, la perception historique que l’on a de la destruction des Juifs d’Europe - que l’on appelle pas encore de cette manière - repose essentiellement sur des regroupements de témoignages. Il faut attendre la somme de la Destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg pour disposer d’une compréhension globale et historique de ces événements. Et la première édition de ce livre précieux et intelligent date justement de 1961, Pontecorvo n’a donc pas pu le lire, si tant est qu’il aurait su tirer de cette lecture quelques enseignements.

    En fait, en 1961, Pontecorvo ne peut que fantasmer le camp de concentration et celui d’extermination, pour donner un exemple particulièrement fautif de cette vue myope, l’arrivée du train dans un camp d’extermination dont force est de constater qu’il ne ressemble à aucun des sept camps d’extermination, donne lieu à un premier tri dans lequel les familles sont séparées, les jeunes d’un côté, les vieux de l’autres, du coup femmes et hommes ne sont pas séparés, puis ils sont conduits vers des baraques pour y passer la nuit, après laquelle, bien reposés, sans doute, ils sont exterminés, Pontecorvo apparemment ignorant que la machine de mort à Auschwitz, notamment, fonctionne nuit et jour, et de même le jour suivant on extermine un groupe de personnes dans lequel âges et sexes sont mélangés. Et tout est à l’avenant dans ce merveilleux film d’aventure au dénouement tellement heureux, le plan d’évasion et de soulèvement aboutit.

    Du coup, dans un tel massacre, je m’interroge sur ce qui a bien pu faire sursauter Rivette dans ce travelling , à moins d’imaginer que Rivette n’avait pas plus de connaissances que Pontecorvo sur l’existence des camps d’extermination, ce qui l’amène, finalement, à réagir sur un problème de grammaire cinématographique, c’est-à-dire là où sa compétence lui permet de déceler le caractère fantasmagorique et immoral du film. Chapeau.

    De façon plus anecdotique. Il se trouve que j’ai connu, vaguement, un homme qui avait survécu à Auschwitz. Cet homme plus tard a eu un gendre qui cumulait d’être antisémite et révisionniste. Un jour le gendre avait demandé à son beau-père ancien rescapé, mais qu’y faisiez-vous toute la journée dans votre camp de concentration ?les cons cela ose tout c’est d’ailleurs à cela queon les reconnait (Michel Audiard). Plein de malice le beau-père avait répondu, on s’ennuyait du matin jusqu’au soir et on trompait souvent l’ennui en faisant des parties de cartes avec nos geôliers. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le gendre qui citait souvent cet exemple sur le fait que les camps de concentration n’étaient pas l’enfer qu’on disait qu’ils fussent.

    J’ai un vrai choc en voyant Kapo , ce navet abominable qui situe son action dans un camp d’extermination, et dans lequel se trouve une scène de partie de cartes entre une détenue et un SS.

    Exercice #32 de Henry Carroll : Je déclare la guerre aux conventions William Eggleston. Combattez aux côtés d’Eggleson.

    #qui_ca