• Saint-Sernin : la Ville enterre son passé
    http://www.ladepeche.fr/article/2016/12/11/2476451-saint-sernin-la-ville-enterre-son-passe.html

    Alors que Bordeaux se félicite de la découverte d’une nécropole antique destinée à devenir référence, Toulouse se refuse à simplement fouiller son passé sur le site majeur de Saint-Sernin.

    Vérité à Bordeaux, erreur en amont de la Garonne, à Toulouse ? Paraphrasant Blaise Pascal, nous pourrions ainsi nous interroger : pourquoi la mairie de Toulouse refuse-t-elle catégoriquement d’effectuer des fouilles archéologiques avant de réaménager, lourdement, la place Saint-Sernin ? Alors qu’une nécropole antique exceptionnelle vient d’être découverte autour de l’église… Saint-Seurin, à Bordeaux, qui « va devenir un site de référence en France », selon Xavier Perrot, du bureau d’investigations archéologiques Hades, les édiles de la Ville rose ont tout fait pour éviter de réaliser de véritables fouilles à Saint-Sernin, dont le sous-sol recèle, aussi, selon toute probabilité, des vestiges antiques et médiévaux de la plus grande importance.

    Selon la société archéologique du Midi de la France (Samf), « les sondages d’évaluation archéologique réalisés au cours de l’été 2015 ont confirmé la présence des vestiges tout autour de la basilique ». Un mur de la chapelle médiévale du collège et deux chapiteaux ont été découverts au cours de ces sondages, qui ne sont pas de véritables fouilles en profondeur. « Il faut s’attendre à trouver à proximité la majeure partie de l’hôpital du XIe siècle », selon la Samf. Sous la place, il y aurait aussi une nécropole païenne et paléochrétienne de la fin de l’Antiquité et du Haut-Moyen Age, des vestiges d’une première église paléochrétienne, du cloître et de l’abbaye détruits après la Révolution française. La Samf évoque « des monuments funéraires romains et des sarcophages en marbre de la fin de l’Antiquité dont de nombreux fragments ont été retrouvés dans le four à chaux du sous-sol du musée Saint-Raymond », tout proche. « Un trésor largement aussi capital que celui de Bordeaux », estiment Joël Pezet et Marc-Olivier Lenique, du collectif Sauvegarde de la place Saint-Sernin, qui craignent de voir le « site aux 2 000 ans d’histoire bétonné pour 40 ans » par l’aménagement dont les travaux sont prévus en janvier 2017.

    « C’est une large partie de l’histoire bimillénaire d’un site majeur que renferme le sous-sol, depuis l’installation de la nécropole antique qui recueillit la dépouille de saint Saturnin (ou Sernin) à l’origine de la basilique », ajoute la Samf, qui défend l’idée d’un « Grand Saint-Sernin ».

    La Ville aurait pu au moins préserver l’avenir, regrettent certains, en réalisant une fouille complète, estimée à 500 000 € alors que le traitement de la place selon le projet de l’urbaniste Joan Busquets va coûter 15 millions d’€. « Les élus craignent d’être dépassés par ce qu’ils vont trouver », avance Quitterie Cazes, archéologue et spécialiste du Moyen-Âge.
    Interview Quitterie Cazes, Maître de conférences à l’Université Jean-Jaurès de Toulouse, archéologue spécialiste du Moyen-Âge « La crainte d’être dépassés par ce qu’ils vont trouver »

    Vous faites partie de ceux qui se battent pour que de vraies fouilles aient lieu sous la place, avant son réaménagement. Pourquoi ?

    Le projet de réaménagement de la place, on en parle à Toulouse depuis deux ans et demi. On avait le temps de faire de véritables fouilles archéologiques pendant ce temps-là. Je ne comprends pas pourquoi cela n’a pas été fait. On va au-devant d’un vrai massacre de la place. Contrairement à ce qu’avance la Ville, la phase de travaux sur les réseaux va labourer le premier mètre sous la surface actuelle de la place et causer des destructions, comme la plantation de nouveaux arbres.

    Vous êtes aussi favorable à un musée de l’Oeuvre Saint-Sernin. Expliquez-nous !

    La basilique est un monument exceptionnel. Un musée est indispensable, un espace de médiation extérieur à l’édifice religieux qui explique en quoi le bâtiment, son histoire, sa construction, son architecture, les éléments qui le composent, sont exceptionnels. Ce lieu avait sa place à proximité d’une crypte archéologique montrant les découvertes de la place, en lien avec le musée Saint-Raymond voire avec l’hôtel Dubarry, du XVIIIe, qui appartient à la Ville.

    Quel sentiment vous laisse le projet d’aménagement et le refus d’un projet plus ambitieux autour de Saint-Sernin ?

    Le sentiment que cela me donne au fond, c’est que les gens ont peur d’être dépassés par le projet. les réticences extraordinaires de certains élus me font penser qu’ils ont une peur panique d’être dépassés par ce qu’ils vont trouver sous la place, qu’ils n’ont aucune idée de ce que peut être une aventure culturelle. C’est d’une bêtise sans nom. Ce n’est pas une histoire d’argent, c’est une question d’intelligence. Toulouse va rester une ville de province.
    Faire revivre 2 000 ans d’Histoire

    Un chantier de fouilles archéologiques, c’est long, poussiéreux et peu spectaculaire, lancent les partisans de l’aménagement à tous crins, qui pestent contre les fouilles préventives qui retardent les travaux. Pas du tout, s’inscrivent en faux les défenseurs de la place Saint-Sernin, regroupés en collectif, et les partisans d’une fouille intégrale du site. « Un chantier de fouilles peut être médiatisé, mis en scène avec exposition des découvertes au fil du chantier, visite des travaux, explication des travaux en cours et évocation de l’histoire du site », explique en substance Quitterie Cazes. « À Milan, la municipalité a trouvé un moyen de conjuguer l’intérêt des riverains avec la réalisation de fouilles importantes pour l’histoire de la ville et l’attractivité touristique », lit-on sur la page Facebook d’IloveSaint-Sernin, « les fouilles sont inscrites dans le circuit de la visite de la cathédrale et permettent de mieux saisir l’histoire du site et de Milan ». Quitterie Cazes évoque, elle, une « aventure culturelle, une sorte de parcours découverte mettant en valeur le monument le plus célèbre de Toulouse et son site à travers le monde. La société archéologique du Midi de la France soutient le projet d’une crypte archéologique et d’un musée de l’Oeuvre Saint-Sernin sur la place.
    Des taches sur les fresques du XIIe

    La basilique Saint-Sernin, plus vaste église romane existant encore, est le joyau des monuments historiques de Toulouse. Elle fut d’ailleurs parmi les premiers monuments classés de France et le fameux architecte Viollet-le-Duc la sauva sans doute de la ruine en la restaurant dans l’esprit roman (même si la forme fut parfois contestée), au milieu du XIXe siècle. Une certaine émotion étreint le visiteur, en dehors de tout caractère religieux, lorsque l’on pénètre dans la nef et ses collatéraux aux parfaits alignements, éclairés par la lumière oblique de l’hiver. En levant la tête, les chapiteaux romans semblent vous raconter l’histoire des premiers saints et des hommes du Moyen-Âge en proie aux tourments de la tentation représentée par des lions diaboliques et des animaux monstrueux qui se mordent la queue autour de personnages apeurés et nus. Sur l’aile à gauche du chœur, le transept nord, des fresques colorées, mises au jour dans les années soixante-dix, permettent d’imaginer l’intérieur de la basilique, qui était alors recouvert de peintures, au temps ou des milliers de pèlerins se pressaient sous les voûtes sacrées sur le chemin de Compostelle. Aujourd’hui, un imposant échafaudage se dresse devant ces fresques du XIIe siècle (représentant la résurrection) dont certaines semblent constellées de taches plus claires, inquiétantes et mystérieuses. « Une étude a été demandée par la Ville de Toulouse et les Monuments de France, qui ont pris les choses à temps, sur l’état des peintures du massif occidental du bras nord du transept et sur les cryptes qui souffrent de l’humidité », explique la médiéviste Quitterie Cazes, « rien d’exceptionnel, Pierre Bellin, en restaurateur respectueux des fresques mises au jour, avait effectué un simple dépoussiérage dans les années soixante-dix, sans rien faire qui puisse altérer les peintures. Aujourd’hui, elles ont subi l’épreuve du temps, salissures, poussière, humidité ; il est temps de faire quelque chose ». « Un voile blanc est observé sur ces peintures sans que la cause soit à ce jour identifiée, l’humidité est une hypothèse parmi d’autres. Le phénomène est sans doute plus complexe » explique-t-on à la mairie, « l’étude identifiera les causes d’altération des peintures puis fera des préconisations de remède. Le rapport sera rendu début 2017 ».

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    #toulouse #archéologie #bétonneurs