CQFD

Mensuel de critique et d’expérimentations sociales

  • « Brûlez-moi et je peux chanter »
    par Bruno Le Dantec,
    illustré par Kamar Idir
    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016).
    http://cqfd-journal.org/Brulez-moi-et-je-peux-chanter

    Kamar est photographe – et infatigable reporter à radio Galère. Il travaille ses portraits à l’ancienne, argentique et longueur de temps : « Souvent, j’oubliais mon appareil dans le sac. Je passais des journées entières à jouer avec les enfants, à blaguer avec les vieux… À la fin, c’était eux qui me demandaient de leur tirer le portrait. » Certains n’ont jamais voulu être pris en photo. D’autres posaient comme condition qu’elles ne sortent pas du cercle familial. Au bidonville de La Parette, « les dames rroms faisaient le bisou à la Préfette à l’égalité des chances lors de ses visites », se marre Dom. Kamar se souvient de cette fonctionnaire plutôt humaine : « J’étais en train de construire une cabane à l’entrée du camp pour y développer des activités d’art plastique avec les minots, quand la préfette se pointe et me houspille : “Monsieur, c’est la dernière maison que vous construisez ici, d’accord ?” Elle m’avait pris pour l’un d’entre eux. »

    Kamar Idir est arrivé d’Algérie en 1994, réfugié du conflit entre barbus et képis. « J’ai rencontré des Rroms de Yougoslavie, et entre personnes qui ont fui une guerre, on s’est compris. Quand je montre des photos de ma mère et ma grand-mère, avec leurs foulards kabyles et leurs pieds nus dans la poussière, les Rroms s’exclament “c’est comme nous !”. Et après que j’ai eu passé des après-midis à jouer au foot avec leurs gosses, ils m’ont posé un chapeau sur la tête. “Kamaro, tu es des nôtres”. » Il est heureux de cette relation : « J’aimerais aller les photographier chez eux. » En Roumanie. « Ils adorent leur pays, la maison qu’ils ont laissée là-bas et qu’ils ont dû quitter faute de travail, témoigne Dom. Ils disent que là-bas il fallait souvent choisir entre manger et se chauffer… » Comme dit Dorin Moldovan : « À quoi sert une maison, s’il n’y a plus personne autour de ta table ? »

    « Être tsigane, c’est notre langue et l’amour qui monte dans ton cœur quand on est réunis et qu’on fait la fête », balance Rezvan, quinze ans. Son père, Dorin, affirme qu’il est psychologiquement fragile, qu’il aurait besoin d’un pope pour le délivrer du mauvais œil. Question mauvais œil, Rezvan a peut-être une explication : « Ici, je ne veux pas dire qui je suis réellement, car je serai tout de suite rejeté. »