• « La politique turque n’est ni ottomane ni islamiste », par Olivier Roy Le chercheur décrypte la... - justpaste.it
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    Même si la tension avec Moscou a culminé en novembre 2015 avec la destruction d’un avion militaire russe par l’aviation turque – attaque attribuée aujourd’hui à des… pilotes gülenistes ! –, les conditions du retournement d’Ankara étaient en place.

    Le coup d’Etat de juillet 2016 a joué un rôle d’accélérateur, même s’il reste bien des zones d’ombre. D’un seul point de vue technique, la formidable épuration de l’armée (surtout les armes « techniques » comme l’aviation) et de l’appareil sécuritaire rend l’armée turque incapable de jouer un rôle décisif dans la Syrie du nord, et surtout pas face à la coalition russo-iranienne (qu’on pense à la faiblesse de l’Armée rouge décapitée par les purges de 1937 face à la petite Finlande en 1939).

    On peut aussi évoquer une paranoïa anti-américaine où Barack Obama se voit accuser de soutenir Fethullah Gülen, l’inspirateur du mouvement Gülen – exilé aux Etats-Unis depuis 1999 – et les Kurdes, c’est-à-dire les deux ennemis mortels aux yeux d’Erdogan. On peut enfin tout simplement attribuer le revirement brutal à un cynisme stratégique, où l’on revient à une bonne vieille realpolitik.

    Mais dans tous les cas, d’un seul coup, la Turquie abandonne à leur sort les révoltés arabes sunnites syriens qu’on avait pourtant utilisés pour empêcher les Kurdes syriens d’occuper le terrain, et surtout on laisse Alep, ville ottomane s’il en fût, se faire détruire par l’aviation russe et les troupes chiites. C’est bien et le rêve néo-ottoman et la solidarité sunnite qui sont morts à Alep.

    C’est cela que l’assassin de l’ambassadeur russe est venu rappeler, même s’il s’est bien gardé de mettre en cause Erdogan. Et cet abandon de ce qui constituait largement l’imaginaire du régime doit résonner aussi parmi les militants du parti ou même, et surtout, parmi l’électeur moyen de l’AKP. Certes, beaucoup renâclaient devant l’accueil des réfugiés syriens (qui portent sur des millions de personnes en Turquie), et beaucoup auraient hésité à mourir pour Alep.

    On savait aussi qu’il n’y a pas de diplomatie « islamiste » et que la référence aux intérêts nationaux pour rejeter l’aventure extérieure aurait certainement été comprise. Mais écarter d’un revers de main la solidarité islamique et l’héritage ottoman porte un coup à l’image du sultan et laisse ouverte la question de la redéfinition du rôle de la Turquie dans la région.