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J – 127 : La fin des étoiles de pierre (et autres mouvements de balanciers).
Je me souviens, oui, c’est comme cela que cela devrait commencer, d’avoir reçu en cadeau de Noël la disque Blue for you du groupe de rock britannique, Status Quo , d’ailleurs en allant vérifier la chose, j’ai trouvé cette indication parfaitement calligraphiée d’une écriture dont j’ai le vague souvenir, chaque fois reprécisé quand j’en retrouve des traces dans mes petites affaires, que cette écriture était bien la mienne au millénaire précédent, celui de l’écriture calligraphiée pour ne pas dire analogique, les restes d’une telle écriture chez moi étant devenus parfaitement illisibles, parfois de moi-même une heure après avoir pris des notes, mais en mil neuf cent septante six, à Noël, j’écrivais d’une façon tout à fait lisible et convenable, avec même quelques traces voulues décoratives, bien de mon âge, bien de mon sexe, mais qui ne laissaient cependant pas deviner dans leur volonté d’afféterie que ce serait là ma voie, dix ans plus tard je rentrais aux Arts Déco, et donc c’est bien la mention Philippe Noël 1976 qui est donc inscrite et parfaitement lisible sur l’enveloppe de papier qui contenait la galette même à l’intérieur de la pochette du disque.
Is there a better way ?
Y a-t-il une meilleur façon de commencer ce récit ?
Et c’est à cela que j’ai pensé, le matin de Noël. J’étais chez mes parents, nous avions réveillonné la veille, mon père avait sorti la grosse artillerie pour ce qui est des vins, ce qui commandait de facto que l’on vide, le lendemain midi même, les carafons, aussi étais-je retenu à déjeuner par mes parents, ce qui allait me donner l’occasion de réparer Oscar, l’ordinateur de mon père s’appelle Oscar, encore que réparer avec la dixième version de l’interface Fenêtres , il s’agisse bien davantage de tatônements, de quelques jurons bien sentis à propos de la conception de certaines des voies de ce progiciel, quand bien même, on est, je le suis, à mon corps défendant, et en dépit d’études dans le domaine des Arts Déco, informaticien, et puis, depuis quelques temps, auteur même, ceci n’est pas mon coup d’essai, avec l’expérience maintenant, je peux faire semblant d’hésiter, je sais un peu où je vais malgré tout, et là où je serai, vous avec moi, dans quelques centaines de pages, bref cela n’allait pas tout seul, depuis quelques temps, depuis son passage à la dixième version de Fenêtres , Oscar peinait sans cesse à se raccrocher au réseau orange de mes parents. Vers onze heures, j’ai pu pousser un cri victorieux, alors que cinq minutes auparavant j’avais déjà laissé entendre à mon père que je n’étais pas certain de pouvoir réactiver la carte réseau de son ordinateur portable, ma quoi ? avait demandé mon père, l’équipement dans Oscar qui permet de choper les paquets de données qui émanent de ta boîte. Et pour donner foi à mon cri de guerre victorieux, putain ça marche enfin , j’avais démarré une fenêtre de navigateur de marque panda roux et dans la barre d’adresse je pianotais l’adresse du site du Monde . Et de fait, cela fonctionnait. Les nouvelles s’affichaient, un avion de transport de troupes russes s’était abimé ne laissant aucun survivant. Mon père, ancien ingénieur en aéronautique faisait grise mine, il n’aime pas, plus que personne je crois, les accidents d’avion, quand bien même, rationnellement il lui arrive de parler d’impondérables, Rick Parfitt, guitariste, à l’époque on disait guitariste rythmique, du groupe britannique Status Quo est mort, Ah merde Rick Parfitt, mon père, qui ça ? Un musicien de rock. Ah.
Apparemment Rick Parfitt est mort d’une infection contractée lors d’une opération chirurgicale la semaine précédente, à l’âge de 68 ans. Un peu jeune pour le commun des mortels, un peu vieux pour un musicien de rock. Et plutôt une mort de type de la rue qu’une de ces morts spectaculaires au volant d’un bolide de la route, d’une overdose carabinée, ou encore d’un coma éthylique, de ceux dont justement on ne sort pas, ou alors pas la porte de derrière, d’un suicide ou que sais-je qui fait les légendes de ces étoiles de pierre. Et qui disparaissent.
A vrai dire Rick Parfitt, cela faisait longtemps que je n’en avais plus du tout entendu parler, cela aurait même pu dater de la toute fin des années septante, je ne peux pas dire que je suis resté scotché très longtemps sur le Quo , comme on disait, alors, pour se donner un peu, à l’âge de douze treize ans, des airs de type qui s’y connaissait, si ce n’est qu’ayant habité pendant trois ans en Angleterre, j’ai appris, à ma plus grande stupéfaction, que ces types-là, pas juste Rick Parfitt mais aussi Francis Rossi, l’autre guitariste, le soliste comme on disait du même temps où on disait un guitariste rythmique, et d’ailleurs quand on le disait, je ne suis pas certain que l’on savait très exactement ce que cela voulait dire, mais on n’aurait pas voulu dire autre chose, moins, bref le Quo, et bien, à l’époque, s’entend, ils n’étaient pas morts, et même qu’ils étaient en tournée plus souvent qu’à leur tour et que même, certains de leurs morceaux passaient à la radio, il faut dire à la radio anglaise, ils ne sont pas tenus par des histoires de quotas pour ce qui est de passer de la chanson française. Et même tout quinquagénaires qu’ils étaient, dans les années nonante, il leur arrivaient de faire les gros titres de la presse populaire pour tel, petit qu’on se rassure, méfait, ou, même, déjà, de survivre à une crise cardiaque, Francis Rossi, le soliste, pas le rythmique, mais si pendant ces trois années d’anglaise vie, je n’avais pas, de temps en temps, jeter un coup d’oeil dans les pages de cette presse populaire, généralement laissée derrière soi par l’équipe de nuit, j’aurais peut-être oublié jusqu’au nom de ces types et de leur groupe, le fameux Status Quo , et peut-être que j’aurais à peine relevé le titre de la manchette du Monde ce matin de Noël, quarante ans, jour pour jour, après le jour de Noël de septante-six, quand j’avais reçu en cadeau de Noël le fameux Blue for you de Status Quo .
Et du coup, je me sens tout chose, comme on dit. Ému, ce serait beaucoup dire. Juste un peu triste parce que je n’ai aucun mal à me faire l’application du raisonnement qui veuille que si ces types dont les posters ornaient les murs de ma chambre adolescent sont en train de tomber comme des mouches, et depuis quelques années, ce ne sont plus des overdoses, des morts par balle ou que sais-je d’un peu rock’n’roll comme on dit, mais bien plutôt des insuffisances rénales, des crises cardiaques ou encore des cancers, bref des maladies de vieux, encore que le cancer, et donc que si ces idoles de jeunesse qui avaient l’âge d’être des grands frères un peu remuants commencent à périr du grand âge, il n’est pas difficile d’en déduire que notre tour se profile aussi.
Et est-ce qu’avant que ce soit notre tour, ce qui va surtout advenir, c’est que plus personne ne sera bientôt capable de partager avec soi l’éventuelle émotion, le petit pincement de cœur, que provoquent ces disparitions d’étoiles de pierre, lesquelles vont finir par se produire dans le silence et même l’indifférence, et on sera passé de l’émotion planétaire provoquée par la mort de John Lennon, de celle qui permet d’échanger, entre personnes émues, des années plus tard de ce que l’on faisait de jour-là, comme dans la chanson de Lou Reed (insuffisance rénale, 2013), the day John Kennedy died , on passera donc de cette forme d’universalité à la plus grande des indifférences, en sera-t-on même informé quand Jimmy Page se brisera le col du fémur en tombant de l’échelle de sa bibliothèque de parchemins de je ne sais quel obscur penseur dont il est le seul lecteur et que conformément aux statistiques en matière de col du fémur, son trépas interviendra dans l’année suivant cette mauvaise chute, comme c’est le cas pour la moitié des patients ayant à souffrir d’une fracture du col du fémur, pauvre Jimmy Page (col du fémur, 2018) quand on y pense, c’est pas beau de vieillir. De même la grande faucheuse sera cruelle qui viendra prendre Neil Young dans son sommeil, à son enterrement les membres claudicants du Crosby, Stills and Nash et donc plus Young, viendront chanter sur sa tombe, Hey Hey my my, rock’n’roll will never die , incantation de vieux perclus de rhumatismes, Neil Young (rupture d’anévrisme dans son sommeil, 2019) n’en saura rien, mais le rock’n’roll est mort.
Et avec cette mort, les générations futures ne relèveront plus certaines références, ils ne comprendront plus certains effets de décor comme dans, je ne sais pas pourquoi je pense à ce film maintenant, Tonnerre de Gruillaume Brac, avec Benard Menez, dans le rôle du père de province dont la garçonnière dans la maison est décorée de pochettes de disques reprises par quatre punaises en leurs coins comme nous faisions tous dans les années septante, et dans Tonnerre donc, le souvenir de la pochette d’une compilation de Jimi Hendrix (overdose, 1970), le représentant dans une peinture très bariolée, celle de Sounds of silence de Simon (cancer, 2013) & Garfunkel (cancer aussi, 2021) et je ne sais plus quoi de Cat Stevens (infection urinaire, 2025), (je viens de télécharger le film, le troisième disque l’on voit c’est Everbody knows this is nowhere de Neil Young (rupture d’anévrisme, 2019) pareillement épinglées sur un fond de papier peint à l’avenant. Avouez que, vous même, en regardant ce film sorti il y a deux ans, Lou Reed venait de casser sa pipe, insuffisance rénale, je n’y reviens pas, vous ne l’avez peut-être pas remarqué et vous ne vous ne souvenez peut-être même pas de cet élément de décor. Donc pas grave.
Et en fait je me demande si ce n’est pas ce qui qualifie le mieux ces disparitions d’étoiles de pierre : ce n’est pas grave. C’est même étonnant à quel point ce n’est pas grave. Anodin même. Oh bien sûr je ne doute pas que cela attriste les proches de ces morts autrefois fameux, mais pour nous qui ne sommes pas proches, ces disparitions finissent par rejoindre en émotion modérée, celle des quelques cent militaires russes morts dans le crash de leur avion de transport de troupes, j’y verrai presque de l’émancipation, une sorte de crépuscule des idoles, à la manière de cette installation de Gilles Barbier qui a imaginé la maison de retrait des superhéros, Hulk est en chaise roulante, Superman en déambulateur tandis que Wonderwonan est un peu avachie et veille tendrement sur Captain America gisant sur une civière et sous perfusion, et si l’émancipation est à ce prix, j’y verrai presque un encouragement à hâter la manœuvre.
Voici donc le récit de la disparition des étoiles de pierre.
(en cours d’écriture)
Il me semble avoir mentionné le décès de Jimmy Page en 2018, à l’âge de 74 ans, Jimmy Page qui ne s’est jamais remis tout à fait de sa fracture du col du fémur en dégringolant de son escalier de bibliothèque, chute survenue alors qu’il voulait épater une petite jeunette de quarante ans sa cadette, avec la lecture de tel manuscrit d’Aleister Crowley, dont vous même pouvez continuer de tout ignorer tant il semble que Jimmy Page a été, de tout temps, l’unique lecteur, et, pour le bienfait de nombreux bouquinistes dans le monde, un collectionneur vorace de ses grimoires, les bouquinistes se refilant mondialement le tuyau de cette érudition qui n’en était pas une. Las, le petit père Jimmy, 73 ans, un peu moins vert que ce qu’il aurait aimé faire accroire à cette jeune femme de 34 à laquelle il aimait jouer quelques sérénades de guitare, peinant désormais sur certains doigtés, depuis peu obtenus non sans un peu de tension arthritique dans les phalanges (c’est amusant tout de même de s’imaginer Jimmy Page à l’âge de 74 ans jouer l’intro de Stairway to Heaven à une jeunette), lui, Jimmy Page pensant benoîtement que cela pouvait impressionner encore quiconque (croyez-moi cela n’impressionnait déjà plus grand monde dans les années 80, j’ai gaspillé quelques heures de ma vie, pis de ma jeunesse, à tenter d’apprendre cette maudite ballade et ses arpèges prétentieux, pour un retour sur investissement auprès du sexe opposé voisin de zéro), elle, cette jeune femme, dont on a pu se demander si elle n’aurait pas donné dans cet escalier de bibliothèque cette secousse fatale, pas grand chose juste assez pour déséquilibrer le petit vieillard sémillant, la chute, fracture du col du fémur, manque d’entrain ensuite pour ce qui est de la rééducation, comme souvent à cet âge-là, et naturellement le déclin rapide inexorable, le patient ne sort plus vraiment de chez lui, il redoute le moindre choc, et la jeune femme qui hérite assez massivement de livres par millions, mais qui en revanche ne trouvera pas d’acquéreur pour les vieux manuscrits d’Aleister Crowley, son unique lecteur venait de prendre l’escalier de la sortie mais vers la descente, cette jeune femme était en fait, la fille illégitime de Jimmy Page, du temps des tournées aux Etats-Unis, des groupies par demi-douzaine et autres sévices lamentables notamment avec un requin, la jeune femme avait ce très bel aileron de requin tatoué sur le bas du ventre, l’ombre de ce dernier, schématiquement brouillé par les flots venant se mélanger avec ses poils pubiens, Jimmy Page pensez s’il se souvient du requin dont cette jeune femme était la fille, pensez s’il se souvient de cette femme dont il lui a donné à enfanter cette jeune femme, qui à l’âge de sa mère dans les années septante, a trouvé le chemin d’une vengeance servie froide. (à développer)
Mick Jaegger (priapisme sénile, excès de masturbation, tachycardie, 2021)
Keith Richards (sénilité, grand âge fatigue, 2035)
Bob Dylan (Alzeimer, 2014)
Neil Young (rupture d’anévrisme, 2019)
David Bowie (maladie rare des os, 2022)
Robert Fripp (crises d’épilepsie à répétition, 2030)
Steve Howe (arthrose dégénérative, 2021)
David Gilmour (cirrhose du foie, 2032)
Steve Hackett (cancer inconnu, mort en 2017, mais mort connue seulement en 2025)
Denis Laine (cancer du colon, 2025)
Peter Hamill (crise cardiaque, 2025)
Frank Zappa (épuisement, dans son sommeil, 2044, le jour de ses cent ans)
etc ad lib
Exercice #61 de Henry Carroll : Restez assis au même endroit pendant cinq heures. Ne prenez des photos que la lorsque la lumière est la plus belle
Cinq heures c’est un peu excessif non, en revanche longtemps, oui, cela a du déjà m’arriver dans les Cévennes. Tout en haut des marches, le café en main, et le regard du côté du hameau de Brin sur l’ubac.