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  • Amandine Gay : « À qui réussit-on à parler ? »
    http://www.revue-ballast.fr/amandine-gay-a-reussit-on-a-parler

    Vingt-quatre femmes, à l’écran. Leur point commun ? Le fait d’être noires et nées en géographies post-coloniales. L’auteure du documentaire Ouvrir la voix, Amandine Gay, laisse la part belle aux vécus sensibles, que le cerveau collectif n’a jamais assumé autrement que par l’imaginaire réducteur de la banlieue ou de l’immigration. La réalisatrice invite à se réapproprier la narration : quelle distance avoir avec cette expérience minoritaire, qui fait de filles de toutes confessions la cible de préjugés ? comment ont-elles eu accès à l’histoire des colonisations et de l’esclavage ? quels seraient les mots pour donner vie et dignité à une identité complexe : Afro-péennes, afro-descendantes, afro-féministes ? Mais aussi : comment évoquer la dépression ou l’amour dans les communautés noires ? Ce « (...)

    • La première identité qui m’a été imposée est celle d’être une fille noire. En soi, s’il n’était pas nécessaire de se définir, je ne le ferais pas. Quand je travaille, je n’en ai pas toujours la nécessité. Je me décris, sur ma page, comme « afro-féministe », mais aussi « pansexuelle » ou « anticapitaliste » : ce sont des précisions pour ne pas qu’on vienne me déranger avec des théories ou des postures politiques qui ne sont pas les miennes et ne m’intéressent pas, mais pour me situer tout de même dans un espace défini. Car quand tu es une femme noire et politisée, on peut vite t’associer à certains courants… Plus tard, j’ai eu le besoin de réadapter ces catégories. Je me suis complètement reconstruit une identité. Être noire, c’est aussi appartenir aux diasporas. Dans mes recherches sur l’adoption, je travaille la question de l’hybridité. J’ai participé à une conférence à Montréal, intitulée « Adoption et colonialisme : migrations forcées, résistances, art et réacculturation » : j’y racontais qu’en grandissant en tant qu’adopté-e, on a tendance à se considérer comme n’appartenant à aucun des deux mondes dont on est issu-e. C’est un peu comme les personnes métisses. Puis arrive un moment où, pour les personnalités créatives, cette chose-là devient une force. De cet endroit qui n’est lié à aucun des deux mondes, j’ai une fluidité de circulation et la possibilité de m’inventer une identité. Les adopté-e-s ont une diaspora propre, et de nombreux points communs dans leur parcours. Nous avons une expérience de la minorité ainsi qu’une connaissance précise et profonde du monde blanc qui nous adopte. Ne connaissant pas leurs origines, certain-e-s font un travail de recherche en allant dans leur pays de naissance ou, dans mon cas, en s’appropriant la culture noire (par le basket ou la musique). Je me suis intéressée aux littératures et à tout ce que je pouvais trouver pour informer « ma » négritude. Mais c’est une construction totale, c’est une invention. Tout mon travail part de cette conscience d’être au milieu. Et je peux me poser la question en ces termes : n’appartenant finalement à aucun de ces mondes, qu’est-ce que ça me donne comme regard inédit sur les sociétés que je traverse ? C’est à partir de là que je parle.