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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • La DGSE mise en cause dans une affaire de racket

    http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/01/23/la-dgse-mise-en-cause-dans-une-affaire-de-racket_5067587_1653578.html

    Un homme d’affaires franco-suisse, en litige financier avec l’agence de renseignement, accuse des espions français d’avoir tenté de lui extorquer 15 millions d’euros.

    L’histoire recèle tous les ingrédients d’une curieuse affaire d’Etat, au point de remonter jusqu’à Matignon. Mardi 17 janvier, le parquet de Bobigny a été saisi d’une plainte avec constitution de partie civile visant la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Déposée par Alain Duménil, un riche homme d’affaires franco-suisse de 67 ans, elle évoque des faits de « détention et séquestration » et de « tentative d’extorsion en bande organisée », sur fond de lourdes pertes subies par l’agence de renseignement dans des placements financiers.

    Le plaignant, en litige financier avec la DGSE depuis plusieurs années, affirme avoir été victime, en mars 2016, d’une tentative de racket, puis menacé par des représentants des services secrets, dûment missionnés, dans un poste de police de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Donc sur le territoire français, où la DGSE est censée ne jamais intervenir.

    L’enquête préliminaire, déclenchée par le parquet à la suite d’une première plainte, a conforté les graves accusations de M. Duménil. Cependant, les enquêteurs se sont heurtés au mur du secret-défense, incitant le parquet à classer la procédure sans suite, en novembre 2016. M. Duménil s’est donc constitué partie civile, par l’intermédiaire de son avocat Me Nicolas Huc-Morel, afin d’obtenir la désignation d’un juge d’instruction.

    « Celui qui me parlait m’a répondu : “Je suis l’Etat” »

    Cette histoire rocambolesque débute le samedi 12 mars 2016 au terminal 2F de l’aéroport de Roissy. A la tête d’un groupe international employant 1 600 personnes et œuvrant aussi bien dans le prêt-à-porter de luxe que l’immobilier ou l’aéronautique, Alain Duménil, qui s’apprête à s’envoler pour Genève en compagnie d’une amie avocate, est intercepté sur la passerelle par deux hommes de la Police aux frontières (PAF). Les deux policiers lui affirment qu’il a été victime d’une usurpation d’identité et le prient de le suivre. M. Duménil s’exécute mais, une fois dans les locaux de la PAF, il se voit contraint d’attendre dans une pièce l’arrivée de deux personnes supposées lui expliquer la vraie raison de son interpellation.

    Stupéfait, l’homme d’affaires, qui va manquer son vol, voit surgir deux hommes en civil, armés, disant être mandatés par « l’Etat français ». Selon son récit aux enquêteurs, l’un des deux hommes se positionne devant la porte afin de l’empêcher de s’enfuir tandis que l’autre lui lance : « Attention, tout ce que je vais déclarer, il ne faut en parler à personne, pas même à la personne qui vous accompagne. » Et l’inconnu de poursuivre : « En 2003, vous avez volé l’Etat de 13 millions, ce qui fait aujourd’hui, avec les intérêts, 15 millions. Il faut nous les rendre et je vais vous donner la procédure à suivre. » Et l’homme de livrer le nom d’un avocat à qui l’argent devra être versé.

    La suite, M. Duménil l’a racontée le 25 mars 2016 aux policiers de l’Inspection générale de la police nationale, la police des polices, saisie par le parquet de Bobigny : « J’étais sous le choc, mais je leur ai demandé de décliner leurs identités et celui qui me parlait m’a répondu : “Je suis l’Etat”. » Selon M. Duménil, le duo lui fixe le 29 mars 2016 « comme date limite pour la remise des fonds ». Puis, l’un des deux hommes lui aurait fait comprendre ce qui risquait de lui arriver s’il ne payait pas. « Il s’est montré très menaçant, parlant de me retrouver en chaise roulante, voire plus… Il s’agit clairement de menaces concernant mon intégrité physique. Il a ensuite affirmé qu’ils avaient fait un maillage autour de moi en France et à l’étranger. »

    Joignant le geste à la parole, les deux hommes montrent à M. Duménil des photos de lui sortant de ses bureaux, mais aussi de sa femme, de l’une de ses filles, de certains de ses collègues… Tout indique qu’il a été suivi. « En montrant ces photos, ils voulaient me faire comprendre qu’ils pouvaient également s’en prendre à n’importe laquelle de ces personnes », estime M. Duménil. Bien décidé à ne pas se laisser faire, ce dernier proteste et indique qu’il va dénoncer les faits à la justice : « Dès que j’ai prononcé le mot “procureur de la République”, ils ont quitté sans un mot et d’un pas rapide la pièce. »

    Recours à la manière forte

    Finalement libéré, M. Duménil s’empresse de déposer plainte au parquet de Bobigny, qui confie une enquête à l’IGPN. La police des polices découvre qu’un litige financier oppose, depuis des années, M. Duménil aux services secrets. La DGSE, pour financer ses missions clandestines, place discrètement des fonds dans diverses structures. C’est dans ce cadre qu’elle a perdu, au début des années 2000, plusieurs dizaines de millions d’euros dans des placements effectués par une société dont M. Duménil est ensuite devenu le propriétaire, fin 2002.

    Une procédure a d’ailleurs été ouverte devant le tribunal de commerce de Paris qui, en octobre 2016, a débouté les actionnaires représentants la DGSE. Une enquête pénale visant les mêmes faits, conduite par une juge parisienne, a entraîné la mise en examen pour « banqueroute », fin 2016, de M. Duménil. Ce dernier a également quelques démêlés avec l’Autorité des marchés financiers et le fisc helvétique.

    La DGSE aurait-elle eu recours à la manière forte afin de récupérer son « trésor de guerre » ? L’hypothèse est aujourd’hui privilégiée par la justice, dont les investigations ont corroboré une grande partie des déclarations de l’homme d’affaires. Adjoint du chef de la division de l’immigration à la PAF, Simon Bourragué a ainsi confié à l’IGPN : « On m’a dit qu’il fallait conduire M. Duménil d’un point A, à la porte de l’avion, à un point B, un bureau dans lequel il allait rencontrer des personnes de la DGSE. »

    Les enregistrements de vidéosurveillance ont été détruits

    Le directeur de la PAF de Roissy, Patrice Bonhaume, a été encore plus explicite : « J’ai été approché par des sous-officiers de la DGSE (…). La DGSE m’a présenté le cas de ce passager, M. Alain Duménil, comme étant d’une importance capitale pour eux. On m’a précisé que cette affaire était suivie au plus haut niveau de l’Etat et notamment des services du premier ministre [à l’époque Manuel Valls]. »

    Les policiers ont tenté d’identifier les deux hommes venus interroger M. Duménil le 12 mars 2016, mais curieusement, les enregistrements de vidéosurveillance ont été détruits dès le 22 mars, soit le jour même où l’IGPN en réclamait la communication !

    Restait donc aux enquêteurs à recueillir les explications des services secrets. Las, sollicité par la directrice de l’IGPN, Marie-France Monéger-Guyomarc’h, le directeur général de la DGSE a opposé une fin de non-recevoir… qui vaut pour partie confirmation. Le 6 juillet 2016, dans une très courte lettre estampillée « secret-défense » à laquelle Le Monde a eu accès, le directeur général de la DGSE, Bernard Bajolet, a indiqué ceci à la patronne de la police des polices : « Le 12 mars 2016, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, le service a mené un entretien avec M. Alain Duménil. Cet entretien s’inscrit dans le cadre des missions du service relevant du secret de la défense nationale. »

    La DGSE reconnaît donc son implication dans le dossier mais se réfugie derrière le secret-défense, dont M. Duménil espère pouvoir obtenir la levée lorsqu’un juge d’instruction aura été désigné.