Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • J – 101 : Des fois je tombe sur des murs d’incompréhension. Je ne comprends pas ce que d’autres comprennent. Cela me rendrait presque malheureux.

    Ainsi ce soir projection suivie d’un débat en compagnie du chef opérateur du film Diamond Island de Davy Chou. La présentation du film est pour le moins enthousiaste, on va voir ce que l’on va voir. Et en plus on pourra discuter tout notre saoul avec le très talentueux chef opérateur de toutes sortes de questions d’images, je m’en lèche les babines d’avance.

    Quand apparaît enfin le générique après une heure quarante de plus compact des ennuis de ma part, je suis très tenté de ramasser vite fait mes affaires et de rentrer dare-dare à la maison voir si des fois je ne pourrais pas travailler aux dernières pages de Qui ça ? dans le garage, mais une chose m’en empêche, nous ne sommes pas très nombreux dans la salle à avoir bravé les intempéries, disons plutôt le froid de saison, présenté en ce moment comme une vague sans précédent — enfant j’ai le vague souvenir, ou est-ce mon père qui m’en a parlé, d’un titre de France-Soir : centième jour de gel consécutif , je dis cela je ne dis rien, alors ne dis rien comme diraient mes enfants — je sais que Nicolas se démène pour ce qui est d’organiser de telles rencontres, et il y en a de très chouettes, Antoine Barraud venant présenter le Dos rouge , Luc Dardenne venant présenter la Fille inconnue , Jean-François Deleuze venant nous parler de génétique après The Boys from Brazil , soyons à la hauteur, restons dans les rangs et gardons-nous d’intervenir, la fois dernière avec Close Encounters With Vilmos Zsigmond ça s’est à moitié bien passé, et si cela se trouve, je vais peut-être rétrospectivement comprendre ce que je n’ai pas compris.

    En fait dès le premier plan je n’ai pas compris où était la grande qualité des images, cadrage indigent, lumière sans contraste, couleurs qui bavent, image numérique incapable d’absorber les hautes lumières notamment celle d’un ciel blanc qui bave, je me suis dit que cela ne démarrait pas très bien. Ensuite la scène du départ du taxi brousse et la figure de l’oncle qui disparait derrière la poussière soulevée par la voiture, travelling arrière m’a paru être un immense poncif de cinéma. Par la suite il y a deux sortes de scène, celles de jour qui continuent de présenter cette problématique d’un traitement très inégal de la lumière et celles de nuit et là il faut reconnaître que les images ne sont pas sans qualité, en grande partie aidée par la très faible profondeur de champ et du coup l’irisation des lumières de la ville en arrière-plan, quelques couleurs vives, voire très vives quand on se retrouve en boîte de nuit et là on n’évite pas non plus un grand stéréotype du cinéma depuis quelques temps, toutes sortes d’effets d’images de la fièvre du samedi soir, en revanche une très chouette scène intimiste entre les deux frères avec la bande-son qui les isole en dépit du raffut de la boîte de nuit. Et puis, c’est bien tout ce que j’ai vu dans ce film.

    Il y a apparemment une narration lente, voulue telle, qui de temps en temps entend nous ouvrir les yeux sur tel ou tel élément de la société cambodgienne contemporaine, mais sans grande idée de suite, le débat après la projection tentera de nous dire cela parle de l’amnésie du peuple cambodgien envers la dictature de Pol Pot, franchement y trouver le moindre signe dans ce film c’est avoir une imagination très débridée, ou alors j’ai vraiment raté plusieurs trains de suite. Il y a bien quelques personnages, mais entre eux règne une psychologie plus pauvre encore que celle de la Guerre des étoiles ? et du coup j’en viens à ma demander si des fois ce ne serait pas cela la clef de compréhension, le lien entre Darth Vador et Pol Pot, mais je dois me tromper, c’est quand même drôlement capillotracté.

    Et ce qui est bien embêtant c’est comment là où je pensais que le débat allait me permettre de comprendre ce que j’avais manqué, nous étions vendredi soir, la semaine avait été fatigante, mon attention n’était sans doute pas à son niveau le plus haut, et bien il n’a fait que confirmer que tout dans ce film était en fait à la surface des choses, évanescent, extrêmement suggestif, un peu comme les tentatives assez risibles d’un Olivier Assayas de nous parler des ravages de la mondialisation dans Boarding gate , sans comprendre que son obsession érotique envers un actrice très médiocre, qui doit passer la moitié du film en sous-vêtements ou à courir en nage et les cheveux au vent — Asia Argento, jugez à la fois de la médiocrité de l’actrice et de la subtilité de l’érotisme — n’est pas le biais le plus convaincant qui soit pour un cours d’économie ou de ce qu’il en a compris, de la même manière une certaine obnubilation pour les corps jeunes dans Diamond Island , fait largement obstruction à toute autre considération.

    Encore du cinéma dont la préoccupation majeure est purement décorative, tentant après coup d’embarquer dans son sillage d’effets esthétisants des considérations autrement plus sérieuses, et ne se rendant pas compte que, ce faisant, elle fait de ces sujets infiniment plus périlleux à traiter de simples éléments du décor.

    C’est moins flagrant que dans le Fils de Saul de Lazslo Nemes, ça n’en est pas moins coupable.

    #qui_ca