Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • http://www.desordre.net/musique/guionnet.mp3

    J – 98 : Les deux rêves étranges de cette nuit. Le premier, celui qui me réveille en sursaut au milieu de la nuit, un ancien ami avec lequel je suis très fâché désormais, sans doute de façon irréconciliable, me rend visite et me souffle de cette drogue dont Madeleine m’a parlé récemment, le souffle du dragon , qui annihile temporairement le jugement et permet d’obtenir de celui auquel on souffle cette poudre au nez tout ce que l’on ne pourrait pas obtenir de lui de son plein gré, tel le code de la carte bancaire, son mot de passe ftp, ou je ne sais quelle faveur sexuelle bien entendu, dans le cas présent, mon agresseur veut m’emmener dans le garage pour comprendre comment je travaille en ce moment — depuis quelques temps, deux ou trois ans, plus vraiment moyen de savoir sur quoi je travaille, il y a bien eu le Jour des Innocents et Février qui laissaient penser que je n’avais entièrement abandonné mes efforts, mais lui sentait bien que je devais travailler sur autre chose encore et il veut savoir, il veut tout savoir, il veut connaître les scripts que j’utilise, au fond de moi j’ai envie de lui répondre que tout est plus ou moins en ligne et que la plupart du temps il suffit d’afficher le code pas très compliqué des pages du Désordre , je ne fais rien de tout cela, je ne suis pas maître de moi-même, je réponds au contraire à toutes ses questions, il veut connaître les URL des projets en cours, je voudrais lui répondre d’aller se faire enculer et au contraire j’annone les URL en questions que je vois partir quasiment instantanément sur des réseaux sociaux que je vomis habituellement, c’est une torture extraordinaire, étouffante, tout en mon être refuse de répondre et je réponds, je dis tout, je dévoile tout.

    Lorsque je me réveille, je suis à bout de souffle, pourtant non, mon respirateur est sur son rythme nocturne de 14-6 — je ne connais pas l’unité de mesure et quand bien même je ne saurais pas à quoi cela correspond — et l’air que j’expire s’en va bien par la petite valve. Autour de moi les ombres de mes rayonnages, des tableaux au mur et des ailerons de requin finissent par m’apaiser, mais je peine tout de même à retrouver le sommeil. J’y parviens malgré tout semble-t-il puisque je suis visité par un tout autre rêve.

    Je rends visite à mon ami Jean-Luc Guionnet, qui, dans mon rêve, pas dans la réalité, habite un immense atelier parisien qui donne sur un jardin dans lequel deux très grands arbres ont été transformés en sculptures monumentales par Jean-Luc, ce garçon a tous les talents, les deux arbres, l’un un tilleul, l’autre un grand chêne, ont tous les deux été entièrement repeints dans un couleur verte émeraude, à la fois sombre et saturée, même les feuilles qui forment désormais une canopée permanente. Pendant que Jean-Luc prépare un café me laissant tout à la contemplation des deux sculptures, nous sommes rejoints par une petite foule très bigarrée (et fort jeune, un lendemain de fête) un peu dans le goût de la Factory d’Andy Warhol et pareillement peu vêtue mais très maquillée. Mon regard passe des racines découvertes des deux grands arbres en un rhizome extravagant, à la poitrine, dénudée et peinturlurée à la manière des premiers combines de Robert Rauschenberg, d’une jeune femme qui ne semble même pas s’apercevoir de ma présence fort habillée, quand Jean-Luc me tend une tasse de café, Jean-Luc paraît avoir rajeuni, buvant son café, je comprends que toutes ces personnes ont des apparences fort jeunes parce qu’elles sont toutes des artistes prolifiques et qu’elles ne semblent pas remarquer ma présence parce que je suis vieux, ce qui est le signe que je suis devenu une manière d’artiste stérile.

    Ce rêve serait un peu vexant, n’était-ce la très grande beauté de ces deux grandes sculptures d’arbres.

    #qui_ca