Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • https://www.remue.net/spip.php?article8634

    J – 84 : Une amie, proche, J. dans mes récits la concernant, écrit des livres auxquels je ne comprends pas tout, tel traité de psychanalyse à propos du deuil, tel autre à propos de la pudeur, mais je lui fais confiance, à la fois parce que c’est mon amie, à la fois parce j’ai déjà eu l’occasion de constater sa clairvoyance psychanalytique. Et d’ailleurs sur le chemin de l’écriture elle a écrit également Psy d’banlieue que j’ai dévoré passionnément, récit autofictif dans ce que l’autofiction a de noble et justement de respectueux envers les tiers qui n’ont peut-être pas tous demandé à débouler pareillement, tels des quilles dans un jeu de chiens, dans une œuvre de fiction, tout étant parfaitement voilé pour que seuls les intéressés, s’ils passaient pas là, puissent se reconnaître, et reconnaître à quel point ils ont été importants. Et dans les contributions de J. au site remue.net, souvent de belles interventions.

    Il y a quelques temps, J. se fait vandaliser son adresse de mail par je ne sais quel ostrogoth nigérian et qui du coup écrit à tous les contacts de J. un courrier assez alarmant nous demandant de lui venir en aide. Et jusqu’à recevoir ce mail qui n’était pas, pas vraiment, de J. je croyais qu’il fallait, vraiment, être couillon ou alors avoir le cœur sur la main jusqu’à en perdre le jugement pour tomber dans de telles chausse trappes si mal maquillées. J’ai déjà raconté cette histoire. Bref il s’en faut de peu que je ne sois délesté d’un petit millier d’euros au profit d’une personne se faisant passer pour J. et ce n’est qu’à l’extrême moment critique de cette arnaque que j’ai fini par renifler qu’il y a baleine sous gravier. Et j’en rirai beaucoup avec J. à mes dépens. Tout est bien qui finit bien, comme dit ce grand couillon de capitaine Haddock à la fin du Trésor de Rackham-le-Rouge .

    Ces derniers temps, avec J. on a mis au point un protocole pour se voir plus souvent, un petit restaurant chinois à mi-chemin entre chez J. et mon open space, on s’invite à tour de rôle, on parle essentiellement de nos lectures ou encore de nos émotions en sortant du noir ou d’expositions dernièrement visitées, on parle aussi d’autisme, J. étant une alliée de très longue date dans mon combat contre celui de mon grand Nathan, en fait elle a même été la première des alliés, et ils sont quelques-uns tout de même. J. m’a peu parlé de son engagement dans la réserve sanitaire suite aux attentats terroristes du 13 novembre 2015, je sais juste qu’elle et moi nous nous sommes croisés sans le savoir, elle souterrainement dans le métropolitain et moi en surface, presque présent sur les lieux mais sans m’en rendre compte, mais elle ne m’a beaucoup parlé de son travail à Nice, envoyé là-bas justement par la réserve saintaire.

    Et puis je découvre la Poussette Potemkine , dernier récit de José. Et quel ! Oui, J., c’est José.

    La Poussette Potemkine est un de ces puissants récits psychanalytiques tels qu’ils existent en tout premier dans l’Introduction à la psychanalyse de Sigmund Freud, puis dans ses autres livres — j’ai une petite préférence pour la découverte de l’auto-aveuglement à la gare de Vienne —, mais aussi dans de grandes œuvres littéraires, je pense par exemple au Lieu d’une ruse de Georges Perec qui est sans doute l’un de ses meilleurs textes (dans Penser classer ). Plus récemment j’ai reçu un tel récit dans le film La Liberté de Guillaume Massart, pas encore sorti, et de tels récits provoquent à la fois ma fascination et mon vertige, me renvoyant chaque fois à mon propre récit psychanalytique, à cette clairière, c’est comme cela que j’ai fini par la nommer moi-même à propos de cet endroit que j’ai découvert par deux reprises, le même endroit, mais les deux fois éclairés différemment. Imaginez le pouvoir de tels récits. Imaginez le pouvoir de la psychanalyse qui les rend possibles, qui les éclaire.

    De la même manière que Maurice Blanchot parlait à propos des livres de Samuel Beckett — je crois dans Le Livre à venir , mais je ne suis plus très sûr — comme provenant de l’endroit même d’où procédait le mouvement de tous les livres, j’ai le sentiment que ce récit de José a été admirablement fabriqué dans le pays même de la psychanalyse. Une sorte de noyau de fusion dur.

    Et c’est donc l’auteure d’un tel récit que j’ai confondu avec un ostrogoth nigérian, écorchant et maltraitant pareillement la langue, et aux motivations tellement rampantes. Fallait-il que je sois aveuglé par un très puissant écran. Faut-il que je dispose d’une personnalité aussi peu fine que celle du capitaine Haddock, oui, je serais ce bon gros à grande gueule, pas bien malin, mais avec un cœur gros comme ça.

    Ou, tout simplement, désireux de venir en aide à celle qui m’est venue en aide la première, avec Nathan. Cela, oui, pouvait m’aveugler. Ce qui aurait pu avoir une répercussion heureuse au Nigéria où l’on fabrique, malgré tout, en usine, des récits d’entre-aide. Et c’est là que la poussette Potemkine a fini sa course folle.

    #qui_ca