RastaPopoulos

Développeur non-durable.

  • Interview de Edward P. Thompson, L’esprit whig sans l’élitisme, 1992
    https://sniadecki.wordpress.com/2017/03/02/thompson-entretien

    La Formation de la classe ouvrière anglaise a mis plus de vingt ans à être traduite en France : c’était à la fin des années 1980, sa lecture est restée un émerveillement. Pionnier de l’« histoire vue d’en bas », attentif aux processus et interactions individuelles plus qu’aux superstructures, militant pacifiste soucieux de politique non gouvernementale, Edward P. Thompson (1924-1993) compte parmi les figures intellectuelles dont l’œuvre sert de balise. Son parcours, ici retracé, mobilise les trois derniers siècles. Où il apparaît que, face à l’histoire courte, c’est d’une connaissance des possibles passés que nous avons besoin pour tenir et ouvrir le présent.

    Cet entretien prend place dans une série d’interviews d’historiens par des collègues plus jeunes, lancée par l’Institute of Historical Research de l’Université de Londres. Il a été publié en français en 1993, à l’occasion du décès d’E. P. Thompson, dans Liber, revue européenne des livres, supplément au n°100 des Actes de la Recherche en sciences sociales, n°16, décembre 1993.

    #histoire #EP_Thomson #interview #classe_ouvrière

    • Comment réagissez-vous aux attaques de la nouvelle histoire féministe ?

      Elles viennent en particulier de Joan Scott, même si on les retrouve ailleurs que chez elle. Je me souviens avoir assisté, lors d’une conférence aux États-Unis, à un réquisitoire enflammé contre The Making of the English Working Class. Je n’ai jamais répondu aux critiques de Joan Scott, mais suis devenu un moins que rien aux yeux de certains féministes américaines radicales. D’après elles, j’ai totalement négligé les femmes dans The Making. Je crois que c’est une accusation assez injuste, car il y a vraiment beaucoup de femmes dans ce livre : d’autant que Dorothy, qui relisait tout, n’aurait pas laissé passer un tel oubli. Mais il y a aussi un problème technique : lorsque l’on traite d’une période pendant laquelle les institutions et les documents sont presque exclusivement aux mains des hommes – par exemple les premiers syndicats de la Société de correspondance londonienne ou d’autres sociétés de correspondance – l’histoire que l’on écrit s’en ressent inévitablement. Cependant, je crois que Joan Scott, et elle n’est pas la seule, fait une critique importante de The Making, et que je dois garder à l’esprit : la classe ouvrière était elle-même une structure, une construction mentale masculine. Je crois que je ne l’avais pas vraiment perçu, et elle a su le montrer très clairement. Quant aux autres accusations qu’elle lance, je les prends très à cœur, et je lui répondrai un jour, car je pense qu’elle se trompe. Elle a bien entendu mêlé la déconstruction et tout le reste au débat, et elle finit par critiquer dans le livre une structure antirationelle qu’elle a produite elle-même, malheureusement. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est très juste et fondamental de dire que la formation des classes et de la conscience de classe ont toujours eu des connotations masculines. Et quand les historiens n’en sont pas conscients – fort heureusement ils le sont désormais – on aboutit à une lecture déformée de l’histoire.