Ndongo Samba Sylla : « Le franc CFA est la preuve de la survivance des liens coloniaux »
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Samedi 7 Janvier 2017 : des manifestations ont lieu dans plusieurs grandes villes africaines et europĂ©ennes. De Dakar Ă Paris, en passant par Abidjan, Bamako, Kinshasa ou Bruxelles, un front commun se mobilise pour exiger la fin du franc CFA. Un fait inĂ©dit qui questionne de nouveau les enjeux politiques et Ă©conomiques autour de cette monnaie : les billets du franc CFA sont imprimĂ©s en France, Ă ChamaliĂšres, petite ville du Puy-de-DĂŽme ; son cours est fixĂ© sur celui de lâeuro ; 50 % des rĂ©serves de change des Banques centrales des Ătats de lâAfrique de lâOuest et Centrale sont dĂ©posĂ©es sur un compte du TrĂ©sor français. Le franc CFA — qui signifiait, Ă son origine en 1945, franc des colonies françaises dâAfrique — est le nom des deux monnaies communes Ă plusieurs pays dâAfrique de lâOuest et de lâAfrique Centrale. Pour lâĂ©conomiste sĂ©nĂ©galais Ndongo Samba Sylla, le franc CFA demeure une « monnaie coloniale ». Nous le rencontrons pour discuter rĂ©pression monĂ©taire, Françafrique et pistes de sortie de la zone franc .
En France, les politiques du franc CFA restent mal connues, les critiques demeurent trĂšs fĂ©briles, mĂȘme au sein des mouvements progressistes. Comment expliquez-vous cela ?
Lâopinion publique française ne sâintĂ©resse pas vraiment Ă lâAfrique. Son image de lâAfrique se rĂ©duit souvent aux clichĂ©s sur la corruption, les dictateurs, les maladies, la famine, etc. Elle a donc gĂ©nĂ©ralement tendance Ă voir lâAfrique sous un prisme dĂ©formateur. Le propos est malheureusement valable pour une large partie de la gauche française, une gauche pour qui deux termes paraissent choquants : impĂ©rialisme et nationalisme. Lorsquâon Ă©voque le terme dâimpĂ©rialisme, on nous rĂ©torque que lâimpĂ©rialisme nâexiste plus ou bien que nous avons toujours Ă la tĂȘte de nos Ătats des dictateurs, des Ă©lites corrompues quâon laisse nous tyranniser. Ce nâest plus lâimpĂ©rialisme en tant que tel qui serait la cause de notre misĂšre mais nos dictateurs. Câest ce quâon entend souvent dâune certaine frange de la gauche.
De quelle gauche parlez-vous ?
Il mâest difficile de qualifier cette frange de la gauche en question. Mais je dirais, pour aller vite, la gauche pour qui lâimpĂ©rialisme est une chose du passĂ©. Quand on parle dâimpĂ©rialisme, on nous reproche de trouver une excuse pour nos propres turpitudes, de tout mettre sur le dos de la colonisation. LâimpĂ©rialisme prend diffĂ©rentes formes et ce quâon nous dĂ©crit gĂ©nĂ©ralement comme des aspects anti-dĂ©mocratiques nâest justement pas sans lien avec lâimpĂ©rialisme. Des gens comme Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou Nguesso en RĂ©publique du Congo, pourquoi sont-ils au pouvoir depuis plus de 30 ans ? Ce nâest pas parce que les Camerounais ou les Congolais les veulent au pouvoir mais parce quâils jouent un rĂŽle stratĂ©gique dans le maintien des liens nĂ©ocoloniaux avec la France et les grands groupes français. Peut-ĂȘtre en effet que ce nâest plus lâimpĂ©rialisme ou le colonialisme passĂ©, mais ce sont de nouvelles formes de domination qui existent et qui sont compatibles avec le maintien de rĂ©gimes dits dĂ©mocratiques. Le franc CFA est dâailleurs la preuve la plus manifeste de la survivance de liens coloniaux.
Maintenant, le deuxiĂšme terme : nationalisme. Lorsquâon revendique notre droit Ă la souverainetĂ© monĂ©taire, les gens ont tendance Ă voir en ces revendications lâexpression dâune attitude de fermeture sur soi, Ă la limite de la xĂ©nophobie. Le rapport que les pays Africains et les pays du Sud ont au nationalisme est diffĂ©rent du nationalisme tel quâil a pu ĂȘtre pratiquĂ© en Europe. En Europe, lorsquâon parle de nationalisme, on pense xĂ©nophobie, totalitarisme, racisme. Dans le cas des pays africains, le nationalisme signifie, avant tout autre chose, que nous voulons et devons ĂȘtre souverains. Câest une rĂ©action face Ă la permanence de lâimpĂ©rialisme et son caractĂšre totalitaire. Ătre souverain, ce nâest pas seulement entendre dire que nous sommes indĂ©pendants, que la France ne nous gouverne plus directement. Non, ĂȘtre souverain, câest avoir la main mise, le dernier mot sur lâutilisation de nos ressources et sur notre politique Ă©conomique. Le nationalisme africain, qui est la revendication dâun internationalisme rĂ©ciproque, part du constat que ce nâest pas nous qui dĂ©cidons des questions Ă©conomiques et stratĂ©giques. Il faudrait quâun jour ou lâautre les Africains, les citoyens ordinaires africains, puissent eux-mĂȘmes sâĂ©manciper de la tutelle française ou occidentale. Le nationalisme, que suscite cet impĂ©rialisme, nâest pas un nationalisme agressif Ă lâeuropĂ©enne mais est un moyen dâaffirmer que les pays africains ont un droit Ă sâautodĂ©terminer.