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  • Emmanuel Todd : « Les élites sont affligeantes, mais le peuple est décevant » - leJDD.fr
    http://www.lejdd.fr/Politique/Emmanuel-Todd-Les-elites-sont-affligeantes-mais-le-peuple-est-decevant-857735

    Vous renvoyez dos à dos Benoît Hamon et François Fillon ?
    J’ai une détestation particulière pour Benoît Hamon à cause de son discours sur une quantité de travail limitée qui devrait nous amener à accepter 10% de chômage et faire des Français des assistés. Mais ce taux de 10% est dû à l’appartenance à la zone euro. Benoît Hamon légitime l’idée qu’il n’y a pas de problème avec l’euro. C’est un sous-marin de l’Inspection des finances et du delorisme. C’est aussi un apparatchik archétypal, qui n’a jamais travaillé et produit. Il est normal qu’il ne croie pas au travail, ça ne lui est jamais arrivé. Je ressens le discours de Benoît Hamon comme un facteur de passivité et de corruption morale. Dans le cas de François Fillon, il y a tout ce que l’on sait déjà : il vit dans son monde, il aime l’argent, il est sorti de la réalité… Mais ce qui reste scandaleux, c’est la manière dont la droite n’a pas été capable de s’en débarrasser. Nous nous plaignons de l’incivilité dans les banlieues, mais nous posons-nous la question de l’effet moral sur la jeunesse d’une droite, dite républicaine, qui soutient un candidat mis en examen pour détournement de fonds publics et escroquerie ?

    • Dans ce contexte, Marine Le Pen avance une vérité : il faut sortir de l’euro et pratiquer le protectionnisme. Mais la condition première du succès, pour mener à bien un changement aussi drastique, ce serait la solidarité nationale et la fraternité. L’épreuve est à aborder en commun, par tous les Français. Or, parmi les Français, il y a ceux qui sont d’origine arabe ou musulmane. Avant même l’épreuve, le Front national divise la société. A quelle condition pourrions-nous le prendre au sérieux ? Soyons réalistes, laissons-lui son fond de commerce anti-immigrés ; il ne faut pas rêver. On pourrait toutefois prendre Marine Le Pen au sérieux si, à la suite d’une crise spirituelle, elle traçait une ligne claire entre les Français d’origine maghrébine, qui sont des Français pleins et entiers, et l’immigration actuelle et à venir. Le FN ne serait toujours pas gentil, mais il révélerait au moins une envie sérieuse de gouverner.

    • Comment avez-vous vécu la violence des attaques ? [à propos du livre « Je suis Charlie »]
      Au-delà de la polémique, je prends acte que j’appartiens au camp des vaincus. Le livre n’a pas redressé la situation. On continue dans l’obsession de l’islam. Les gens que je critique dans le livre, comme Finkielkraut et Zemmour, représentent maintenant l’idéologie dominante. La dernière fois que j’avais vu Alain Finkielkraut, lors d’un déjeuner que vous aviez organisé, nous étions dans deux camps opposés mais de force égale. A l’époque, il souffrait d’un lumbago ; aujourd’hui, il siège à l’Académie française. Et je suis une sorte de paria. Mais je suis fier d’avoir écrit ce livre. Si j’étais croyant, je dirais que je me sens, en tant qu’être humain, justifié par ce bouquin. Quatre millions de personnes ont défilé dans la rue et j’ai écrit : « Non, vous n’êtes pas des gentils. » On m’a beaucoup dit, à l’époque, que j’étais un mauvais Français. Je suis tombé récemment sur un exemplaire de Pour l’Italie (1958), de Jean-François Revel. Il y rappelle que les gens qui représentent la France dans les manuels scolaires ont été souvent de leur temps des parias. La force de la France, c’est de produire des individus qui sont capables de critiquer la France. Face à la violence des réactions, qui m’a rendu malade, je me suis posé des questions. Allais-je devoir être breton, ou redevenir juif ? Finalement, je me suis dit « je vais être vieux » : c’est plus simple et plus réaliste comme identité. Mais le texte de Jean-François Revel, qui fut l’un de mes maîtres, m’a rappelé que j’ai fait mon devoir d’intellectuel. J’ai fait face à mon pays.

    • Pour ce qui concerne la compréhension de la dynamique historique générale, j’ai plutôt assuré : j’ai prédit, entre autres, l’effondrement du système soviétique, l’affaiblissement du système américain, les révolutions du monde arabe, le dysfonctionnement de l’euro. Mais s’il y a un domaine dans lequel j’ai montré ma totale incompétence, c’est bien la perception des individus. Comme psychologue, je suis nul. Je suis un chercheur en chambre et un introverti contrarié. Je ne sens vraiment bien les êtres humains qu’à travers des agrégats statistiques. Ainsi, toute ma vie, j’aurai surestimé le niveau de moralité des politiques et le sens de l’humour des Français. Comprendre les individus, c’est le principal, et c’est pour ça que sur ma pierre tombale, j’aimerais comme épitaphe : « Je n’ai rien compris, mais c’était génial. »