marielle 🐱

« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Assia Djebar — la mĂ©moire est une voix de femme
    ▻http://www.revue-ballast.fr/assia-djebar

    « Qui suis-je ? J’avais rĂ©pondu au dĂ©but : d’abord une romanciĂšre de langue française
 Pourquoi ne pas terminer en me reposant la question Ă  moi-mĂȘme ? Qui suis-je ? Une femme dont la culture est l’arabe et l’islam 
 » L’auteure de Rouge l’aube a disparu voilĂ  deux ans, le 6 fĂ©vrier 2015. Traduite en une vingtaine de langues, elle enseigna, sa vie durant, l’histoire, le cinĂ©ma et la littĂ©rature en AlgĂ©rie, en France et aux États-Unis. Rendre voix aux femmes relĂ©guĂ©es, dire la mĂ©moire Ă©touffĂ©e sous le poids colonial, dĂ©noncer les « fous de Dieu » qui cherchent Ă  tuer la pluralitĂ© des langues Ă  laquelle elle tenait tant : voilĂ  ce que pouvait Ă  ses yeux l’écriture, cette « quĂȘte presque Ă  perdre souffle ». ☰ Par Jonathan Delaunay

    Ode aux femmes

    Assia Djebar s’interroge sur ce que sa mĂšre et sa grand-mĂšre lui ont transmis. La femme musulmane qu’elle connaĂźt vit encore dans l’ombre du masculin : l’homme est maĂźtre de la maison comme du dehors et la femme vouĂ©e Ă  l’espace intĂ©rieur. « Quand je suis venue m’installer Ă  Paris, en 1980, aprĂšs Femmes d’Alger dans leur appartement, les gens considĂ©raient que j’étais un Ă©crivain fĂ©ministe. Comme AlgĂ©rienne, le fĂ©minisme Ă©tait une sorte d’état naturel, si je puis dire20. » Djebar n’eut de cesse d’écrire sur la condition des femmes de son pays natal, de se lever contre cette assignation. Mais si le ton est cinglant, la critique, elle, n’est jamais mĂ©prisante : elle dĂ©ploie seulement son irrĂ©futabilitĂ©. L’espace de son Ă©criture devient celui de la libĂ©ration des femmes, « elles dont le corps reste rivĂ© dans une pĂ©nombre et un retrait indĂ»ment injustifiĂ© par quelque loi pseudo-islamique21 ». Djebar utilise volontiers le champ lexical de l’intĂ©rioritĂ© afin de retranscrire l’atmosphĂšre Ă©touffante et Ă©touffĂ©e des femmes qu’elle dĂ©peint, tapies dans le « fond » des maisons, dans le « silence » oĂč percent des « chuchotements », celui des femmes « cernĂ©es » par les murs. DĂšs Les Enfants du nouveau monde, l’écrivaine dĂ©peint celles qui ont le sentiment de n’avoir « jamais connu le visage de la rue22 ».

    L’émancipation de la femme passera par une rĂ©appropriation de l’espace et l’échappĂ©e au-dehors, Ă  l’instar de Zoulikha la combattante, partie au maquis, dont le dĂ©part n’est probablement pas sans faire Ă©cho au dĂ©part d’Assia Djebar elle-mĂȘme. Cette conquĂȘte du monde extĂ©rieur s’accompagne irrĂ©mĂ©diablement d’une affirmation du corps, « corps de femme devenu mobile et, parce qu’il se trouve en terre arabe, entrĂ© dĂšs lors en dissidence23 ». La femme qui ose sortir dans les rues, se montrer au regard extĂ©rieur assume par lĂ  mĂȘme son dĂ©voilement — Djebar symbolise Ă  l’envi cette prise de libertĂ© par l’enlĂšvement du voile : une sorte de mise Ă  nu. Le corps de la femme s’assume alors, autant que son dĂ©sir, que Djebar retranscrit dans une vĂ©ritable poĂ©tique de l’enlacement : « Ă©tendue, aprĂšs avoir tant naviguĂ©, j’affleure au matin. Me voici mince pliure entre la moire de la nuit et le mĂ©tal du jour nouveau24 ». Dans ces scĂšnes d’amour suggĂ©rĂ©es, les rideaux sont ouverts sur l’espace avoisinant. « Tandis qu’au-dehors la poitrine est noyĂ©e sous la grosse laine, que les chevilles et les poignets sont soustraits Ă  la vue par le cuir de la botte et du gant, tout, dans la chambre, reprend autonomie. Sous la poussĂ©e d’une calligraphie nocturne, les Ă©paules, les bras ou les hanches se dĂ©lient25. » Son fĂ©minisme tient en effet de l’évidence. Assia Djebar rendra hommage aux femmes de son pays jusqu’à sa mort puisque, lors de son enterrement, celles-ci sont conviĂ©es Ă  assister aux funĂ©railles, contrairement Ă  la coutume — ainsi qu’elle l’avait exigĂ©. Ce geste, dernier pied de nez Ă  la tradition, symbolise l’engagement de toute une vie.

    #Assia_Djebar