• Le Figaro - À Saint-Brevin, les migrants honnis puis acceptés

    Quand Le Figaro découvre que, malgré ses campagnes de haine, les migrants sont bien acceptés dans les villes de province

    http://premium.lefigaro.fr/actualite-france/2017/04/20/01016-20170420ARTFIG00328--saint-brevin-les-migrants-honnis-puis-ac

    LES OUBLIÉS DE LA CAMPAGNE (6/6) - Après avoir suscité une tempête d’émotions au Pays de Retz, le séjour de 47 demandeurs d’asile, qui ont passé six mois sur place, est jugé positif par les habitants.
    De notre envoyée spéciale à Saint-Brevin
     » Découvrez l’intégralité de notre série au fur et à mesure de sa publication

    Il est environ midi, le soleil tape et une douce brise glisse dans l’air marin de Saint-Brevin-Les-Pins, petite bourgade du Pays de Retz, située sur les bords de l’océan Atlantique à deux pas de l’estuaire de la Loire. Sayid Nasir, jeune Afghan de 29 ans, qui n’avait jamais vu la mer, dit que c’est la chose qui l’a le plus frappé à son arrivée au Centre de vacances d’EDF, où il a été accueilli en octobre pour six mois avec 47 autres migrants. « J’ai aimé la mer, la chambre confortable et aussi la gentillesse des habitants ! Je suis reconnaissant à Saint-Brevin », nous confiait-il il y a quelques jours, alors que le centre d’aide et d’orientation (CAO) mis en place s’apprêtait à fermer, conformément aux engagements de l’État et de l’organisation Trajets, qui a supervisé le séjour brévinois des migrants. Sayid, qui a quitté l’Afghanistan en septembre 2015 pour la Belgique avant de passer en France, espérait pouvoir gagner la Grande-Bretagne mais s’est retrouvé bloqué dans la fameuse « jungle » de Calais. Quand le gigantesque camp qui avait crû dans le chaos depuis des années, suscitant une véritable levée de boucliers des habitants de la ville, a été fermé, l’État a réparti des milliers de demandeurs d’asile à travers les communes de l’Hexagone. Saint-Brevin a hérité d’Afghans, d’Érythréens et de Soudanais venant de zones de guerre.
    Sayid, un garçon aux yeux noirs originaire de la province de Kunduz, qui parle bien anglais et voudrait faire des études de science politique, dit qu’il a fui son pays parce que « c’était devenu trop dangereux ». Il évoque le danger mortel des talibans qui a mis toute sa famille sur les routes. « Le fait de refuser de porter une barbe et de s’habiller en pantalon et en tee-shirt est un gros risque. J’aime ma patrie, si je l’ai quittée c’est qu’il n’était pas possible de rester. Ma famille me manque chaque minute », soupire-t-il, inquiet, vu qu’il n’a toujours pas de réponse à sa demande de papiers. « De quoi est fait le futur ? », s’interroge-t-il, sombre malgré ses sourires. Des tourments qui pourraient remplir des livres, mais que les habitants de Saint-Brevin n’étaient pas préparés à embrasser et à comprendre.
    Tempête d’émotions
    « 70 migrants pour 13.000 habitants, c’est dangereux, parmi eux il ne doit pas y avoir seulement des enfants de Marie mais des voyous »
    Maxime Boulanger, porte-parole d’un comité antimigrants
    Quand au mois d’octobre 2016, les Brévinois apprennent que le camp de Calais va fermer et que 50 à 70 migrants vont arriver sous peu au centre de vacances d’EDF, dans le quartier de Saint-Brevin l’Océan, une tempête d’émotions se met à courir sur la station balnéaire, qui s’étonne de l’absence totale de concertation. « 70 migrants pour 13.000 habitants, c’est dangereux, parmi eux il ne doit pas y avoir seulement des enfants de Marie mais des voyous », déclare alors Maxime Boulanger, qui devient porte-parole d’un comité antimigrants. Un commerçant brévinois confie à Ouest-Franceque « ça pourrait faire peur aux gens qui voudraient venir en vacances ». D’autres craignent une chute de l’immobilier. L’association d’habitants opposée à leur installation va bientôt rassembler quelque 400 signatures pour le camp du refus, suscitant en réaction la mise sur pied d’une « association des Brévinois atterrés » qui se prononce en faveur du contingent de migrants. Un soir, peu avant leur arrivée, des coups de feu sont tirés contre le bâtiment d’EDF, un acte qui plonge la ville dans la consternation. « Je peux comprendre les craintes mais la violence est inadmissible », réagit le préfet de Loire-Atlantique, Henri-Michel Comet. « Il y a des sentiments d’inquiétude, de peur mais aussi d’empathie. Je pense que les esprits vont se calmer », affirme pour sa part le maire (divers droite) Yannick Haury, tout en reconnaissant « avoir été mis devant le fait accompli ».
    Jean-Pierre dit que toute une petite communauté s’est formée pour aider ces arrivants exotiques et que la fête de départ a été « émouvante »
    Irène Petiteau, la directrice de l’Association Trajets, qui a été chargée de toute l’opération d’installation et de gestion du centre, me confie six mois plus tard « ne pas avoir bougé d’un pouce son dispositif » malgré cette tourmente initiale. « On avait des procédures déjà testées et on les a suivies. Les gens se sont nourris de rumeurs. Nous savions qu’il n’y avait aucun danger », dit-elle. À la suite des coups de feu, Trajets a dû engager un vigile pour la nuit. Mais l’association s’est surtout occupée de mobiliser quelque 300 bénévoles qui ont donné de leur temps pour assurer des cours de français, l’intendance des repas et maintes sorties pour les 47 migrants, notamment au Mémorial de Caen et sur les plages du Débarquement. Pascal Théault, entraîneur de l’équipe de foot de Caen, a proposé des entraînements. « Au début j’avais moi-même des inquiétudes. Mais quand j’ai vu l’appel au bénévolat, j’ai décidé d’aller voir », raconte Jean-Pierre Tavec, un ancien instituteur brévinois à la retraite qui a donné des cours de français. « Je me suis dit : qu’est-ce qu’on fait ? On les accueille ou on les remet à l’eau ? » Jean-Pierre dit que toute une petite communauté s’est formée pour aider ces arrivants exotiques et que la fête de départ a été « émouvante ». L’instituteur s’inquiète toutefois pour la suite. Il dit que les migrants sont loin d’être au bout de leurs peines. La plupart vont atterrir dans de nouveaux centres d’accueil, qui n’ont pas tous le côté estival et chaleureux de Saint-Brevin. « Parviendront-ils à s’intégrer ? Pourraient-ils glisser sur la mauvaise pente », s’inquiète-t-il.