Lukas Stella

INTOXICATION MENTALE, Représentation, confusion, aliénation et servitude, Éditions L’Harmattan, 2018. — L’INVENTION DE LA CRISE, 
Escroquerie sur un futur en perdition, Éditions L’Harmattan, 2012. — STRATAGÈMES DU CHANGEMENT De l’illusion de l’invraisemblable à l’invention des possibles Éditions Libertaires, 2009. — ABORDAGES INFORMATIQUES (La machine à réduire) Croyances informatisées dans l’ordre des choses marchandes, Éditions du Monde libertaire - Alternative Libertaire, 2002 — http://inventin.lautre.net/linvecris.html

  • LE PARI DE L’AUTONOMIE

    Nous avons le sentiment que nos vies nous sont volées, et nous voulons en reprendre le contrôle. C’est ce que nous appelons l’autonomie. C’est ce qui est déjà en chacun de nous et, parfois, jusque dans les gestes les plus anodins de nos quotidiens. Ce sont ces relations qui existent sans médiation, sans intermédiaire, par amour pour ses potes ou famille, qui n’ont pas besoin d’un intérêt matériel, ou d’une peur fabriquée de se faire pincer par les flics, le prof, ou le patron. Ces relations qu’on refuse d’abandonner parce qu’on ne veut simplement pas que notre pote se retrouve dans la merde, parce qu’on connaît son histoire et qu’on a envie de soigner son avenir. Ça existe dans la rue, entre voisins, entre amis, entre camarades ou entre collègues. Ce sont des liens dont on se sent fier, qu’on ne peut pas lâcher comme ça car ils constituent qui nous sommes. Ces liens sont autonomes. Ils se tissent sans être validés par une autorité surplombante. La question ne se pose pas quand il s’agit d’aller voir un pote à l’hosto. Dans un bureau, deux collègues n’ont pas besoin d’un DRH qui leur dit quoi faire pour trouver des gestes d’entraide dans le quotidien de leur travail. Ces liens ne s’inscrivent pas dans le champ de compétences d’un CV, mais sont pour autant une énergie incroyable. C’est là qu’on ne laisse pas filer ce qu’on crée au profit d’un prétendu intérêt général. C’est là aussi où l’on cultive sa puissance : en s’ouvrant peu à peu, à la mesure de notre force.

    Ces pratiques, ces liens, sont présents partout. Parfois ils nous permettent de respirer et de nous émanciper, parfois c’est ce qui nous fait rester dans la merde que nous vivons. C’est d’ailleurs bien souvent grâce à eux que l’exploitation marche aussi bien. Les organisateurs du contrôle l’ont bien compris et cherchent à recréer de manière fictive ces liens : des « pots entre collègues », des parts de tarte dégueulasses « offertes » par le boss pour souhaiter la nouvelle année, des poufs « sympa » et des moquettes « détente » installés à côté de la machine à café, des soirées d’intégration aux frais de la boîte.

    Les pratiques autonomes ont toujours été intolérantes à l’ordre et intolérables pour l’État et le travail capitaliste. Du moins, si elles ne sont pas contrôlées et, donc, faussées. Elles sont intolérables parce qu’elles refusent d’être gérées autrement que par ceux qui la vivent. En ce sens, elles recèlent le réservoir d’explosion des contrôles que nous subissons ou que nous exerçons parfois. C’est là que nous nous sentons bien, là que nous trouvons de la beauté, là que nous vivons. Mais c’est aussi là où nous pouvons faire péter la marmite.
    Quand ça arrive, il devient très difficile pour les pieuvres du contrôle de reprendre le dessus. Ce fut le cas dans bien des révolutions, dans bien des campagnes et dans bien des quartiers, c’est le cas à Notre Dame des Landes ou chez les Zapatistes au Mexique.

    Les îlots alternatifs ne représentent aucun danger pour le pouvoir tant qu’ils ne restent qu’une prison dorée. C’est en se liant que nous devenons dangereux. Parce que ce sont ces interdépendances qui nous rendent indispensables les uns aux autres et qui rendent, de fait, complètement inutile et inopérant l’exercice même du pouvoir. Qui a besoin d’aller au supermarché quand il produit lui-même ses légumes et profite déjà des céréales de son voisin ? Qui a besoin de faire appel à la police lors d’un conflit quand il connaît son quartier, l’histoire de chacun de ses habitants, ses parents, ses enfants.. Nous vivons dans un monde où nous sommes étrangers les uns aux autres, d’illustres inconnus perdus au milieu des métropoles. C’est précisément ce qui se situe entre les êtres, qui les sépare et les isole, que nous cherchons à reconstruire et que nous pensons comme l’élément premier d’une perspective révolutionnaire.

    Si on reprend l’exemple de la ZAD à NDDL, on déroule le fil logique de son territoire : un fort ancrage paysan lié à la création de la confédération paysanne dans la région, une histoire ouvrière de luttes au 19e siècle et la Commune de Nantes, une tradition libertaire dans la ville tout au long du 20e siècle. C’est en liant ces mondes, en faisant corps ensemble, que se vit la manifestation de réoccupation après les expulsions de 2012 à 40 000 personnes et qu’une cinquantaine de tracteurs s’enchaînent autour du lieu pris ce jour-là. Et c’est à partir de cette expérience, de cette rupture avec l’existant, qu’une société tente de se reconstruire. Ces réalités habitent déjà de nombreux territoires qui ne se revendiquent pas toujours en lutte et qui n’ont pas forcément l’écho d’une lutte contre un aéroport. C’est ce que Fianso produit lui aussi quand il tourne ses clips dans toutes les cités de France, de la Castellane aux Mureaux, et y reçoit un accueil toujours chaleureux, au-delà des divisions. C’est ce qui se vit dans certains coins reculés, de la Creuse au Pays Basque, et c’est cette diversité de liaisons et de sensibilités que nous appelons aussi autonomie.

    NOUS VIVONS DES TEMPS INTÉRESSANTS

    Déjà, tout un ensemble de personnes refusent la mascarade qui vient. Entartages, enfarinages, perturbations de meetings, attaques de permanences électorales, tags, textes, discussions, manifestations, banquets. S’attaquer à la classe politique, mettre des bâtons dans les roues de nos futurs dirigeants ne représente certainement pas une fin en soi, mais nous semble être un bon moyen de se trouver.

    « Il n’est rien de plus invraisemblable, de plus impossible, de plus fantaisiste qu’une révolution une heure avant qu’elle n’éclate ; il n’est rien de plus simple, de plus naturel et de plus évident qu’une révolution lorsqu’elle a livré sa première bataille et remporté sa première victoire. »
Rosa Luxembourg

    23 avril 2017, 20h01. Tout commence. 1er mai, Cortège de tête. 7 mai, 20H02. On est encore là, prêts à foutre le souk… Rendez-vous dans la rue.

    https://lundi.am/Nos-vies-ne-rentrent-plus-dans-leurs-urnes